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Le mystère de la barque fantôme
Reportage - Lampedusa
Publié dans La Presse de Tunisie le 17 - 09 - 2012


De notre envoyé spécial Chokri BEN NESSIR
La Presse. Sur les rivages de l'île de Lampedusa, de nouveau les harragas ont pointé la proue de leurs barques sur la petite île italienne. Au Centre d'accueil, d'assistance et d'identification des immigrés clandestins à Lampedusa, ils seraient 82 Tunisiens dont 54 rescapés du dernier naufrage. Les autres sont arrivés en deux groupes, le 8 et le 9 septembre.
Alors qu'un troisième corps, suspecté de faire partie des 80 disparus en mer lors du drame du naufrage d'un chalutier tunisien transportant des candidats clandestins à l'émigration au large de Lampedusa, a été repêché hier, le mystère plane toujours sur les péripéties de ce drame.
D'ailleurs, l'information funeste qui a causé beaucoup d'émoi parmi les familles des disparus, a acculé les responsables tunisiens à multiplier les démarches auprès du gouvernement italien pour faire la lumière sur cette affaire et déployer tous les moyens pour la recherche à la surface et en profondeur d'éventuels rescapés ou cadavres. En effet, le drame a soulevé une polémique qui dépasse les frontières de l'île pour secouer le gouvernement tunisien par une nouvelle crise sociale.
Cependant, le ballet de déplacements des ministres, des secrétaires d'Etat, de membres de l'ANC et des membres des organisations civiles n'a pas apporté de résultats concrets tant au niveau institutionnel qu'à celui opérationnel. Les questions sont restées sans réponse concernant les disparus et le sort des rescapés est aussi flou.
D'ailleurs, rien qu'au niveau du naufrage, les récits controversés des autorités italiennes et ceux des 56 rescapés brouillent davantage l'explication.
En effet, selon les autorités italiennes, le 7 septembre à 18h00, la capitainerie du port de Lampedusa a été contactée par le commandement de la police d'Agrigente pour signaler une communication téléphonique provenant d'un téléphone portable de la part de deux migrants tunisiens qui parlaient assez bien l'italien, demandant les secours. Cette personne (une femme accompagnée d'un homme qui lui chuchotait des indications maritimes) avait expliqué qu'elle se trouvait à bord d'une embarcation transportant cent trente-six personnes avec des femmes et des enfants à bord et qui prenait l'eau et commençait à chavirer. Selon la même source (un traducteur marocain agissant pour le compte du chef des enquêteurs italiens), la même migrante qui avait indiqué que la barque se trouvait à quinze milles des côtes de Lampedusa, a donné de vagues indications sur le lieu où se trouvait exactement le chalutier.
Les secours arrivent tard
Afin de localiser la barque, un hélicoptère appartenant aux gardes-côtes italiens a décollé rapidement. Deux vedettes des gardes-côtes, deux vedettes de la douane italienne ainsi que deux vedettes des gardes-côtes de Pantelleria ont également été dépêchées sur les lieux. Vers le coup de 2h00 du matin, trois vedettes des forces de l'Otan rejoignent l'équipe de secours. Ce n'est qu'à 2h30 du matin et bien qu'il faisait noir, une des patrouilles de l'Otan aperçoit à proximité de l'île de Lampionne (distante de douze milles de Lampedusa), des hommes à la mer. Ils ont porté secours à ces naufragés et depuis toutes les équipes de secours ont orienté leurs recherches sur les alentours de l'île de Lampionne.
Cinquante-six personnes ont été sauvées. Dont quarante-six ont pu rejoindre la terre ferme de l'île de Lampionne à la nage. Un autre a été sauvé par héliportage, sept par les vedettes de la douane italienne (Guardia di Finanza), deux autres par une frégate de l'Otan. Par ailleurs, deux corps ont été repêchés parmi lesquels figurerait la jeune fille qui avait passé l'appel au secours. Le troisième corps repêché hier est encore au stade de l'identification.
Au final, le plan de secours qui a duré plusieurs jours a compté l'intervention d'hélicoptères, de vedettes de la capitainerie du port, des vedettes des gardes-côtes italiens, trois frégates de l'Otan, une vedette de la Frontex Belge et deux équipes d'hommes grenouilles. Sans compter les bateaux de pêche qui se sont joints volontairement aux secours.
Après plus de dix jours de recherches en mer, les secouristes n'ont pu localiser le lieu du naufrage. Aucune trace de l'embarcation. Mais ce qui est étrange selon un enquêteur rencontré sur le port de Lampedusa mais qui tient à l'anonymat «aucun objet flottant, aucune trace de fuel, de vêtements ou d'autres indices, provenant de la barque, n'ont flotté à la surface de la mer». Il estime que la thèse la plus probable serait celle d'un débarquement forcé des passagers à proximité de Lampionne.
Hypothèse que rejettent les survivants tunisiens. Chahed(*), 24 ans est l'un de ces miraculés du naufrage. Il assure que le chalutier surchargé a commencé à prendre l'eau vers 16h00. «C'est à ce moment-là qu'on a commencé à appeler les secours». Et de continuer que, «au bout d'une heure de navigation, le capitaine ne maîtrisait plus l'embarcation et le chalutier a commencé à chavirer. C'est à ce moment-là qu'on avait perdu espoir», souligne-t-il.
Peur au ventre
Anis(*), son copain de voyage, dont il a fait la connaissance après le drame sur le rocher de Lampionne, raconte la même chose mais avec de plus amples détails. «Ne voyant pas les secours arriver et constatant l'ampleur de l'avarie, le capitaine, désemparé, demanda à tous les passagers de se débarrasser de leurs chaussures et vêtements et de nager, faisant cap vers le phare de l'île de Lampionne, dont les feux rouges balisaient déjà la route». A ce moment-là, un grand mouvement de panique gagna des passagers, continua-t-il. «Ceux qui savaient nager ont observé les instructions du capitaine, les autres étaient en train de couler avec la barque en s'agrippant à sa proue et à ses bords», ajoute-t-il. «J'ai vu mon cousin dans l'eau, qui, sous le choc, n'arrivait plus à nager et était en train de se noyer. Je suis allé à son secours. Je l'ai tiré par les cheveux en le sommant de me suivre à la nage. Là il a repris son courage et a commencé à nager à mes côtés vers la lumière rouge qui était notre seul point de repère. On a formé un groupe pour nager ensemble et se serrer les coudes. Mais la nuit commençait à tomber et on sombrait de plus en plus dans le noir. De temps à autre, on entendait des cris stridents qui déchiraient le bruit des vagues. Mon cousin a lancé l'un de ces cris avant de sombrer sous l'eau. Malgré mon épuisement total, j'ai plongé pour l'extirper de nouveau. Mais impossible de le localiser dans les eaux obscures. Il est mort noyé», révèle Chahed les larmes aux yeux. «Comment voulez-vous que je songe à rentrer au pays après avoir affronté la mort en face et perdu mon cousin ? Comment pourrais-je regarder ma tante et mes autres cousins dans les yeux après le décès de mon cousin, eux qui m'ont supplié de veiller sur lui. Je n'ai pu tenir ma promesse», conclu-t-il, faisant allusion à la menace d'expulsion qui pèse sur le sort de la majorité du groupe et à la peur qui s'empare de lui rien qu'à l'idée de rentrer en Tunisie. Dévoilant une partie de son corps et son cou, Chahed nous a montré les lésions causées par les piqures de méduses qui avaient donné du fil à retorde aux nageurs. En effet, quand les équipes de secours les ont retrouvés sur l'île, ils avaient soif, étaient affamés et souffraient de plusieurs lésions cutanées et en état de choc. Le teint buriné par les longues heures passées en haute mer, silhouettes noires, les rescapés se tenaient debout face au destin sur un rocher posé par une main divine au milieu de la Méditerranée, auscultant du regard la lumière des villages perchés au sommet des collines de Lampedusa, comme des autels dressés pour l'office du soleil.
Quant au capitaine, les deux rescapés assurent qu'il s'est noyé lui aussi avec le reste des disparus. Pourtant, le chef du département de la police d'Agrigente avait annoncé, il y a quatre jours, «l'arrestation de deux immigrés clandestins soupçonnés d'être le capitaine et son adjoint. Certains rescapés auraient désigné ces deux personnes comme étant les responsables à la barre de la barque qui a fait naufrage». Ces deux personnes ont d'ailleurs été remises à la police tunisienne dans le cadre de l'accord conclu pour la création d'une équipe bilatérale d'enquête entre l'Italie et la Tunisie.
Le monde des passeurs
Mais que s'est-il passé exactement ? Plusieurs interrogations interpellent encore les enquêteurs. Aziz, un Italien converti à l'Islam et gérant du restaurant de spécialités tunisiennes à Lampedusa «Mughara», témoigne: «Le lendemain du drame, j'ai organisé un pique-nique pour des clients sur l'île de Lampionne. En arrivant sur les lieux, j'ai découvert des chemises, des chaussures et d'autres indices attestant de l'ampleur du groupe qui avait débarqué sur l'île. J'ai appelé la police qui était déjà au courant et m'a demandé de ramener ces objets au poste à mon retour». Mais pour Aziz, qui privilégie la piste criminelle, pour faire la lumière sur ce drame, «il faut pénétrer le monde des passeurs».
Pour lui, le fait que les recherches n'ont rien donné étaye la thèse d'un débarquement forcé des passagers à proximité de l'île de Lampionne, puis la barque aurait fait demi-tour pour rentrer en Tunisie. «Les passeurs sont des criminels qui n'ont pas de scrupules et peuvent recourir à la force et la brutalité pour jeter à la mer les occupants de la barque», souligne-t-il. «Il n'avait probablement pas l'intention de les noyer en pensant qu'il étaient tout près de l'île, mais ils ont mal calculé la longueur du trajet. D'ailleurs, ils pensaient qu'en appelant les secours, ils avaient une grande chance de survivre. Mais le drame a eu lieu et les secours ne sont arrivés au bon endroit qu'après des heures», ajoute-t-il. D'autres questions restent à élucider. Comment ont-il fait route vers l'île de Lampionne au lieu d'aller directement à Lampedusa? Comment ont-il pu contacter par téléphone cellulaire la capitainerie du port de Palerme s'ils n'avaient pas prévu une couverture réseau dans les environs? Comment se fait-il que tous les rescapés donnent la même version des faits au détail près sans se contredire ou sans se tromper ? Où est passée la barque ?
Fera-t-elle partie des nombreux naufrages fantômes dont seulement la mer pourrait raconter les secrets. Au fait, il faudra des jours sinon des mois pour connaître ce qui s'est réellement passé en cette mer ouverte. Pendant ce temps, la première désillusion des rescapés tunisiens a déjà pris forme. Car le rêve s'est vite transformé en cauchemar.
(*) Pour des raisons de confidentialité et afin de protéger nos sources, les prénoms des deux témoins ont été modifiés.
Demain : Lampedusa, le Guantanamo italien


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