À l'approche du Mouled, l'odeur de la cannelle et de la fleur d'oranger commence doucement à se faire sentir. Les familles ressortent les bols décorés, les magasins de pâtisserie affûtent leurs louches, et comme chaque année, le scénario se répète : les prix du zgougou flambent, l'indignation monte, mais... tout le monde achète quand même. Alors que le Mouled 2025 approche à grands pas, le kilo de zgougou cru a déjà franchi les 40 dinars dans certaines régions. Une hausse indécente ? Oui. Une surprise ? Pas le moins du monde. C'est devenu un feuilleton annuel, où la spéculation rivalise avec l'hypocrisie collective. Le zgougou n'est plus un simple ingrédient : c'est l'emblème d'une société qui accepte l'inacceptable tant que l'assida est bien décorée. Un rituel devenu racket Le zgougou est aujourd'hui un produit de luxe que même la classe moyenne regarde avec angoisse. Pour une famille de six personnes, il faut compter entre 250 et 300 dinars pour une assida décente, en pleine crise économique, avec une inflation alimentaire qui dépasse les 8 %. Et pendant ce temps-là, les vendeurs et intermédiaires empochent tranquillement leurs marges. Comment peut-on accepter qu'un produit acheté 5 à 8 DT par les industriels soit vendu huit fois plus cher aux ménagères ? Où est passée l'indignation citoyenne ? Où sont les appels au boycott, les actions concrètes, les refus de céder à la pression culturelle ? On nous servira encore les mêmes excuses : "le climat", "la sécheresse", "la baisse de production", "le manque de stock". Certes, le réchauffement climatique a un impact sur la production du pin d'Alep, c'est une réalité. Mais la vraie question est : pourquoi aucune stratégie nationale n'est mise en place pour réguler ce marché ? Pourquoi ne pas encadrer les prix ou diversifier les sources ? La réponse est simple : le zgougou est devenu une vache à lait pour toute une chaîne d'acteurs, des cueilleurs aux distributeurs. Et face à cela, le Tunisien reste un consommateur docile, prisonnier d'un folklore qui se transforme en piège économique. Boycotter : un mot qu'on n'ose pas prononcer Chaque année, quelques voix s'élèvent : associations de consommateurs, militants anonymes, citoyens en colère. Mais ces voix sont vite noyées sous les stories Instagram de belles assidas aux amandes parfaitement rangées. La culture du boycott n'existe pas en Tunisie. Pire encore : elle dérange. On préfère souffrir en silence, emprunter, renoncer à d'autres besoins essentiels... pour une crème de graines, devenue le symbole d'une tradition qui appauvrit. Comme chaque année, on vous parlera de la "symbolique religieuse", de la "beauté du partage", de "l'exception tunisienne". Mais ce qu'on ne vous dira pas, c'est que le zgougou 2025 est l'un des symptômes les plus criants d'un peuple résigné à sa propre exploitation. Cette fête pourrait être l'occasion de repenser notre rapport à la consommation, de déconstruire le mythe de "l'obligation d'assida", de soutenir les circuits courts, de fabriquer d'autres traditions plus durables, plus saines, plus accessibles. Mais soyons honnêtes : cette année encore, on se taira, on achètera, et on postera fièrement nos créations sur les réseaux, pendant que d'autres ne pourront même pas offrir un bol à leurs enfants. Il ne s'agit pas de renier la tradition, mais de la libérer de l'emprise commerciale. Le vrai hommage au Prophète n'est-il pas dans l'éthique, la solidarité et la justice ? Le zgougou peut bien attendre si le cœur et la conscience sont présents. À quand un Mouled sans racket organisé ?