Hier après-midi, à la mosquée d'El Fath, à l'avenue de la Liberté à Tunis, le dirigeant salafiste djihadiste, Abou Iyadh, de son vrai nom Seif Allah Ben Hassine, a fait un prêche, après la prière d'El Dhohr, au cours duquel il a interpellé le ministre de l'Intérieur, M. Ali Laârayadh, l'appelant à démissionner: «Craignez Dieu, et dites la vérité sur les événements de vendredi et l'attaque de l'ambassade américaine...Une nouvelle dictature est en train de naître...Le gouvernement est à la recherche d'un nouvel ennemi: les salafistes», a-t-il asséné. Jouant l'apaisement, il a aussi exhorté ses partisans à éviter la confrontation avec les forces de l'ordre qui avait encerclé les alentours, empêchant le chef salafiste de quitter les lieux. Sur l'esplanade de la mosquée, plusieurs dizaines de manifestants salafistes menaçants scandaient des slogans louant l'Islam et son Prophète Mohammed: «Allah Akbar»(Dieu est grand), «Mohammed est le bien-aimé de Dieu», «Djihad, djihad, jusqu'à la victoire et jusqu'au martyre». D'autres slogans ont été scandés contre le ministre de l'Intérieur, les laïcs et les médias qu'ils considèrent complices de l'ancien régime. C'est le chaos ? Une foule importante de sympathisants salafistes, de journalistes et de badauds s'est amassée autour de la mosquée, les commentaires fusaient, une dame, la quarantaine, d'une voix haute se lamentait: «Regardez où nous en sommes avec tous ces extrémistes, pourquoi la police ne les arrête pas une fois pour toutes, regardez tous les commerçants ont fermé boutique, la rue est bloquée, c'est le chaos». Une autre en colère réplique: «Vous trouvez normal que la police use de violence, j'ai vu de mes yeux un policier frapper avec une violence inouïe un jeune salafiste, après tout c'est un tunisien. Or, je remarque que le gouvernement a réussi à monter les Tunisiens les uns contre les autres». Dans un autre groupe, un barbu, vêtu d'un quamis et calotte vissée sur la tête, explique à des journalistes et des badauds qui l'entourent que lors de la journée de vendredi, des manifestants pacifiques ont été tués, d'autres blessés, moi-même j'ai été blessé, mais les médias n'en ont pas parlé, les médias sont des caciques (fouloul). Au fil des minutes, la rumeur enflait, certains affirmant qu'Abou Iyadh, bloqué à l'intérieur de la mosquée, avait quitté les lieux, d'autres avançaient le contraire. Une jeune fille portant le niqab se réjouit: «On ne l'arrêtera pas». Une autre en tenue moderne réplique: «Dis plutôt qu'il est sorti déguisé en niqab». Les slogans se sont, enfin, tus. Des salafistes se sont adressés aux caméramen et aux photographes: «Maintenant, cessez de filmer ou nous cassons vos appareils». Les journalistes s'exécutent, puis s'adressant à leurs partisans: «Entrez tous dans la mosquée». Quelques minutes après, vers 15h20, ils se sont attaqués à la foule qui s'est dispersée, sous les cris et dans un mouvement de frayeur. Revenus aux nouvelles, les commentaires fusaient: «Ce n'est qu'un leurre pour protéger la sortie d'Abou Iyadh et ses acolytes». Sur une moto, deux salafistes crient à l'un des leurs: «Allez, rentre, le Cheikh est parti». Un de nos collègues affirme qu'il y a eu négociations avec les autorités, les forces de l'ordre se sont, en fait, retirées des alentours de la mosquée une heure auparavant pour se placer du côté du jardin du Passage. Petit à petit, la foule se disperse, non sans se poser des questions: déjà qu'avant-hier, la police n'a pas arrêté Abou Iyadh qui aurait assisté aux funérailles d'un des salafistes tués durant la journée du vendredi, voilà qu'aujourd'hui le scénario se répète. Abou Iyadh court toujours. Jusqu'à quand le gouvernement va-t-il jouer au chat et à la souris avec les salafistes? Les citoyens s'impatientent.