Personne à l'ANC n'a été capable de nous fournir une carte politique actualisée de l'Assemblée constituante. Et pour cause : le nomadisme bat son plein au Bardo. Il n'est pas rare d'entendre le président Ben Jaâfar annoncer à l'ouverture de la plénière des scissions et de nouvelles alliances, quand ce n'est pas le lancement de nouveaux partis. Cette recomposition quasi hebdomadaire de l'échiquier parlementaire a pris de court tout le monde, secrétariat de l'ANC compris. Signe d'immaturité politique ou de bonne santé démocratique ? Un constat cependant, la mobilité de nos élus a fait des heureux mais surtout des malheureux. El Aridha, surprise électorale de la saison, s'est transformée en une coquille vide. Des partis nouveaux- nés comme Nida Tounès ou Infitah et Wafa n'ayant pas pris part aux élections, ont pu faire une entrée remarquée à l'enceinte verte. Et des partis comme le CPR, assise électorale du président provisoire Marzouki, a accusé un coup dur dont il peine à se relever, après la dissidence spectaculaire menée par Ayadi et quelques désertions. Cette liberté de mouvement de nos constituants qui a tôt fait de brouiller les cartes, tire son avantage d'un vide juridique. La petite Constitution n'ayant rien prévu pour réglementer ce qu'on appelle la transhumance politique. Tarek Bouaziz (ouverture et fidélité) : Je pars et je l'assume Un jeune député du nom de Tarek Bouaziz, de la pétition populaire El Aridha, a, comme ses pairs, déserté le berceau de sa naissance politique. Il a expliqué son geste, en l'assumant pleinement, par une forte désillusion ressentie au fil de la pratique. Son mouvement ne répond plus aux aspirations des 200 mille électeurs qui lui ont fait confiance, selon notre interlocuteur. En cause, le désistement du chef coordinateur Hechmi Hamdi, qui n'a voulu «ni structurer le mouvement, ni louer des locaux, ni désigner une direction, ni rentrer au pays». Rien n'a été fait, regrette M.Bouaziz. L'élu de la circonscription de Nabeul 1 décide alors de se rallier au parti Infitah wa Wafa (ouverture et fidélité). Un parti nouvellement lancé, qui compterait aujourd'hui 8 constituants, ce qui n'est pas rien, avec à sa tête un homme d'affaires, Bahri Jelassi. Le positionnement du parti est identitaire, tout en prônant le développement et l'ouverture. Faute d'un programme, le chef du parti avance ses idées, et dernièrement sur les médias, il a proposé la gratuité de toute facture de la Sonede en deçà de 60 DT. Souad Abderrahim (Ennahdha) : Projet de désertion Si un parti pouvait se vanter de la discipline exemplaire de ses députés, c'est bien Ennahdha, toujours en ordre de marche, jamais ou très rarement une voix dissonante ne se fait entendre. Alors pour déserter ce groupe fort de ses 89 députés, c'est chose presque impossible. Toujours est-il, un certain moment des bruissements de coulisse ont laissé entrevoir le départ de Souad Abderrahim, seule députée non voilée du parti islamiste, vers d'autres cieux. Information aussitôt démentie par l'intéressée. Dans une déclaration à La Presse, Mme Aberrahim met en avant sa loyauté envers «un parti qui l'a propulsée au-devant de la scène politique», et nous réitère à l'occasion «son total engagement». Bémol, «jusqu'à la fin de la période parlementaire». Ah ! La députée met alors en avant la réalisation d'objectifs qui lui tiennent à cœur, comme le régime politique mixte et le respect des droits et libertés. Or, comme tout le monde le sait, son parti prône le régime parlementaire pur. Mme Abderrahim, avec toute la gratitude qu'elle ne cesse de réclamer, restera-t-elle ou pas ? Les jours prochains nous le diront. Brahim Gassas (Nida Tounès) : L'herbe est plus verte ailleurs Dans ces hésitations, elle n'est pas la seule, plusieurs constituants, à l'instar de Selim Ben Abdesselem du parti Ettakatol ou Mahmoud Baroudi du PDP, se sont fait remarquer en critiquant frontalement leurs partis, allant parfois pour certains jusqu'à voter contre les consignes, et même faire miroiter la menace de défection. De ces députés, il faudra les suivre au cas par cas. Certains ont décidé de claquer la porte, d'autres ont préféré pragmatiquement rester dans la maison. La sortie tonitruante de Brahim Gassas, élu d'El Aridha, a fait, quant à elle, couler beaucoup d'encre et de salive. Gassas avec un look emblématique, un accent rustique, et un style frontal qui ne ménage personne, se fait remarquer à chacune de ses interventions. Il est une vedette nationale, et paraît-il, un constituant très recherché. Tout récemment, il a débarqué à Nida Tounès, le parti de l'ex-Premier ministre de Béji Caïd Essebesi, en expliquant à La Presse que son objectif est d'adhérer à un front qui soit fort, parce que «la vague est très haute et aucune formation sur la scène politique n'est en mesure de la contrecarrer». Il explique encore que son positionnement se situe dans l'intérêt de la Tunisie et de son peuple. Si d'aucuns considèrent que la transhumance politique accompagne le processus démocratique, beaucoup d'autres la considèrent plutôt comme une «pathologie» de ce processus à prohiber absolument. Comment peut-on être choisi, élu, sur la base d'un programme et des idées, et décider après que l'herbe est plus verte ailleurs?