Voilà trois sessions que la Médina s'anime autrement grâce à Dream City. Des parcours tracés dans la vieille ville permettent la rencontre entre le public, l'artiste, l'art (contemporain) et l'espace (urbain). Le corps qui en résulte prend différentes formes selon la combinaison qu'en fait le festival. Cette année, le thème choisi est «l'artiste face aux libertés». Difficile de penser à autre chose avec l'actualité. Une journée à Dream City est un peu comme une journée dans un labyrinthe dont on connaît un peu les détours, mais avec l'élément de la surprise toujours présent. C'est une expérience que l'on recommande fortement, malgré la fatigue, l'indécision devant la diversité du programme et les aléas. Il faut se lancer et se livrer à la Médina. Cela fait partie de l'expérience Dream City que de voir la réaction des commerçants, entre les amusés qui proposent, volontiers, leur aide pour vous orienter et vont jusqu'à changer les directions des flèches qui indiquent les parcours pour qu'ils pointent vers leur boutiques — une manière de jouer le jeu sans doute — et ceux qui rouspètent d'une façon ou d'une autre, plus ou moins élégante. Il arrive que la situation dégénère comme jeudi après-midi, sur le parcours vert au niveau de Souk El Berka où Naoufel Azara présente sa pièce «Cherche Saâdia désespérément». Une dispute entre les commerçants du souk et l'équipe de la pièce a mis fin à la représentation et semé la tension dans cette partie de la Médina. Heureusement qu'un tel incident est extrêmement rare, surtout que la majorité des spectacles et installations sont placés dans des espaces fermés. De plus, de nombreux jeunes issus de la Médina font partie de l'équipe de Dream City et assurent la sécurité des sites. Toutes ces réactions que suscite la manifestation chez les occupants de la Médina sont comme les effets secondaires de la manifestation, dont le but est après tout l'interaction entre le corps et l'espace. Un sociologue devrait, pourquoi pas, se pencher sur la question et accompagner par l'analyse cette nouvelle identité que prend la Médina pendant quelques jours. Elle se mue, s'anime, se fait belle dans l'imaginaire du monde parallèle qui s'y installe avec les parcours. Elle se fait belle dans l'imaginaire des artistes qui créent à partir d'elle, pour elle et pour ses visiteurs. Ce monde parallèle croise souvent la réalité d'une Médina en ruine, où chacun ne balaye que devant chez lui... et encore. Pourtant, c'est là l'un des principaux atouts de Dream City. Le festival vous ouvre les portes de joyaux insoupçonnés de la Médina, et même si la plupart ont besoin de restauration, le plaisir des yeux est garanti. Dar Haddad, Dar Othmane et le centre culturel Hassan-Zmerli à Bab Jédid (une ancienne église) sont à voir, absolument ! Les œuvres qu'ils accueillent sont aussi à voir. Parfois, on a l'impression que ces œuvres, que tout Dream City n'est qu'un prétexte pour injecter du sang neuf dans les artères de la vieille ville. C'est plutôt de la sueur qui en ressort, celle de tous les efforts déployés afin de mener à bien ce projet. Il suffit de se lancer sur n'importe quel parcours des quatre proposés (jaune, rose, vert et rouge) pour se rendre compte de ce que cela représente de mettre en place tout ca, de choisir les endroits, de placer les artistes dans des espaces qui vont avec leurs travaux et de créer les parcours tout en variant les propositions. Et dire que tout est fait par des bénévoles! Le défi est relevé haut la main. Il n'empêche, de nombreuses personnes rouspètent cette année, surtout à propos du prix élevé des bracelets d'accès aux parcours (7 et 5 dinars pour les étudiants, sachant qu'un bracelet est valable pour une seule journée). Un groupe de chômeurs entend même organiser une action de protestation, dans les prochains jours, adressée toutefois à toutes les manifestations culturelles où ils sont oubliés. Pour ceux qui n'ont pas de problème à se procurer des bracelets, les parcours de Dream City obéissent, rappelons-le, au thème de la session : «l'artiste face aux libertés ». La manifestation est quand même dominée par la participation tunisienne. Et donc, entre cinéma, théâtre, danse et installations, nos artistes choisis s'expriment sur leur perception de la liberté dans la Tunisie postrévolutionnaire. Certains semblent porter sur le pays le même regard qu'un étranger qui contemple une carte postale. D'autres cherchent, fouillent. La différence s'appelle sincérité, sensibilité et créativité. Cela donne des œuvres plus marquantes que d'autres, des parcours plus intéressants que d'autres, mais il faut de tout pour faire une Dream City et chacun est invité à y choisir un chemin et à vivre l'aventure avec sa part de rêve et d'inconnu. Et même si les temps sont durs pour les rêveurs, ce n'est point une raison pour ne pas rêver. Mention spéciale à «Fin de série» de Souad Ben Slimane (le n°6 sur le parcours jaune) et «Je ne suis l'ombre de personne» de Marion et Ghazi Frini (n°13 sur le parcours rouge). Pour les sans-bracelet, il y a quand même trois spectacles «au hasard des rues» et trois autres «Dream City off» (le point info est sis au café El Ali, rue Jemaâ Zitouna). A ne pas rater «Le bulb» de Pixel 13, aujourd'hui à 20h00, à la place de la Victoire (entrée de la Médina).