Rached Ghannouchi aux salafistes : «Possédez vos chaînes radio et tv, vos écoles et vos universités, invitez les prédicateurs de n'importe quelle provenance» La vidéo qui fait le buzz en ce moment sur la Toile tunisienne jette une lumière crue sur la réalité des choses. On y voit le président d'Ennahdha recevoir un groupe dont on devine qu'il représente un ou des courants salafistes, au vu des propos échangés. Des pages salafistes sur la Toile ont annoncé qu'il s'agissait des dirigeants salafistes qui ont fini par obtenir un visa légal et de se constituer en parti. Le parti Ennahdha qui confirme l'authenticité de la vidéo, «amputée», précise-t-on, ajoute qu'elle date de février ou de mars derniers. La vidéo, qui fait 8'30 environ, ne couvre pas la totalité de l'échange, mais les propos de Cheikh Rached Ghannouchi sont suffisamment explicites. Selon lui, les laïcs ne s'attendaient pas à ce score aux élections, puisqu'ils croyaient qu'Ennahdah ne dépasserait pas 20%, et enchaîne que « malgré le code électoral injuste, nous avons maintenant les commandes. Les laïcs pensaient exclure Ennahdha ou la faire taire avec un ou deux ministères. En réalité, le peuple veut cette religion». Il ajoute que les groupes laïques n'ont pas la majorité, mais ils ont les médias, l'administration publique, l'économie... L'armée n'est pas sûre (aljaich mouch madhmoune), la police non plus. «Le nombre ne doit pas nous induire en erreur : la chaîne est encore là, les principaux rouages de l'Etat sont encore entre leurs mains». Le leader islamiste s'adresse ensuite aux jeunes salafistes pour leur dire que l'avenir est entre leurs mains, les mosquées aussi, «enseignez ce que vous voulez, leur conseille-t-il, et ayez vos chaînes radio et tv, vos écoles et vos universités, invitez les prédicateurs de n'importe quelle provenance... Pourquoi êtes-vous pressés ? Ce qui a été obtenu et réalisé n'est pas irréversible, alerte-t-il. Regardez l'exemple algérien où les islamistes étaient plus forts qu'en Tunisie et où les laïcs étaient plus faibles, mais au final les islamistes ont été évincés. Pour enchaîner : «Quand on a un acquis (ndlr, le pouvoir), on le met dans la poche et on le sécurise, avant de passer à l'étape suivante. Regardez ce que nous avons obtenu en une seule année. C'est énorme mais ce n'est pas définitif, ce n'est pas irréversible». Ghannouchi informe son auditoire qu'il y a des complots fomentés contre eux et contre l'islam, et qu'il faudra adopter « un discours rassurant, apaisant. Il faut créer des associations, des écoles, les gens vivent dans l'ignorance [de leur religion]. Nous avons besoin de temps pour apprendre à gouverner, y a-t-il un intérêt pour l'Islam, de faire référence à la charia dans la Constitution ? se demande-t-il. Non, puisque l'article 1 prévoit déjà que l'Islam est la religion de l'Etat, répond-il. «L'élite tunisienne a peur de la charia. Mais il n'y a aucune différence entre charia et islam. C'est la même chose. J'ai déjà demandé [à quelqu'un] : allons-nous appliquer les houdouds [châtiments corporels] ? Non, pas encore. Les laïcs ont accepté l'islam et refusé la charia, mais c'est la même chose» (rires). Propos donc forts troublants car ils accréditent l'idée d'un double discours et montreraient également que la stigmatisation des médias a pu être préméditée, de même que les nominations dans les différentes sphères de l'administration. Les réactions dans les milieux politiques sont très virulentes. En voici quelques unes.