Pour la célébration de son 70e anniversaire, l'Institut des hautes études commerciales de Carthage (Ihec) a proposé avant-hier soir, à une assistance triée – vraiment ! – sur le volet, un spectacle inédit en Tunisie : les diachromies de la grande artiste française Albiolo. Ma-gni-fi-que ! ... Et après le noir, fut la lumière. Géante et envahissante, en surplomb. Elle n'est pas une mais multiple et multicolore. D'abord, une boule bien grosse, sphérique, où le bleu et le vert s'imbriquent et s'enlacent sans se télescoper. L'univers? Peut-être. Puis, l'éclatement total, comme sur toute la surface du monde. Les images, cyclopéennes, arrivent par strates dont les couleurs forment des gammes entières : jusqu'au bout du rouge, du vert, du jaune, du bleu... Des formes plastiques, saisissantes et envoûtantes, naissent et disparaissent sans transition perceptible, car au moment même où elles se dissipent, elles renaissent, mais autrement, comme par générations successives. Jusqu'au bout des variations, des différences, de la richesse, humaine et naturelle... Fuse, alors, de l'arrière-fond un air solennel, tel un héraut annonçant l'avènement de la vie : le violoncelle semble décrire tour à tour les premiers pas de l'homme sur un pan de l'Univers, ses hésitations, son angoisse, son bonheur, son amour de et pour la vie. Jusqu'au bout de la félicité... Le monde, sur écran géant et changeant, se met petit à petit en place quand apparaît Eve. Sublime dans ses atours arachnéens, dans ses ondoiements, ses déhanchements discrets mais largement suffisants pour dire l'éternel féminin, sa quête de la vie et de l'amour, ses étreintes, sa lascivité et son extase. Jusqu'au bout de la féminité... Arrivent bientôt d'autres espèces, diverses et cosmopolites, dans l'unique volonté d'enrichir le monde : le nay et le piano. Mariage incongru et malsonnant ? Nullement. La mixité est richesse et symbiose même, pour peu qu'on fasse table rase de nos différences. Qu'aurait pu être le monde s'il était un et unique, uniforme, figé ? Bien au contraire, la flûte arabe, fondue avec le piano et le violoncelle, a rétréci les distances, brisé les frontières, rapproché les humains. Jusqu'au bout de l'humanisme... Sans oublier ces deux autres voix, celle de la femme, comme sortie du fond de la nuit, mélancolique et nostalgique, voire angoissée et inquiète pour ce monde si merveilleux que l'homme, lui-même, corrompt et frelate par tant de cupidité et de soif de gloire, pessimiste ; et celle du poète, chantre de la vie et de l'amour, naturellement enclin à refaire inlassablement, tel Sisyphe, un monde qui tout le temps menace de craqueler, d'éclater; optimiste malgré tout. Et à moment, les deux voix se rejoignent, s'enlacent et bravent ensemble la cruauté de ce monde pour un monde de paix et d'amour. Jusqu'au bout de l'espoir... C'est un peu tout cela les diachromies d'Albiolo. Un spectacle complet (arts plastiques, chant, musique, danse et poésie) où elle mène une quête absolue et infatigable du merveilleux, du magique, du féerique. Jusqu'au bout du beau... Au grand plaisir de Fatma Kilani, directrice de l'Ihec, qui entend, à travers ces activités, édulcorer le stress de ses étudiants par un cycle de manifestations artistiques de haute gamme. Jusqu'au bout du culturel... (*) Diachromies et poème (traduit du français) d'Albiolo ; avec: Danielle Williams (composition musicale et piano); violoncelle : Hosny Naghmouchy; nay : Mohamed Ben Salha; chant lyrique : Chadné Hicheri; chorégraphie : Nadia Jendoubi.