Contrairement à de nombreux ballets universels, celui de l'Opéra de Rome, qui s'est produit avant-hier à Carthage, privilégie plutôt le jeu du duo à la place du groupe. C'est certainement, sur le plan chorégraphique, moins compliqué que le jeu d'ensemble, mais à quelques exceptions notables. Ici, la danse, exactement à l'image du patinage (mais sans glace, on s'en doute), requiert le maximum possible de légèreté, d'où des corps fluets et arachnéens : jeunes hommes papillons et demoiselles sylphides évoluant au sol et en l'air au gré des grands classiques de la musique universelle, avec une prédilection assez prononcée pour Tchaïkovski, même si les costumes, pour la plupart des chorégraphes, rappellent plutôt le XVIIe sinon le XVIe siècle. Tableaux forcément à thèmes, comme le veut tout opéra d'importante envergure, l'expression verbale, presque évidente sur les traits des protagonistes, est confiée au corps qui en assure l'interprétation (et la transmission) des sentiments et des états d'âme. L'amour, sujet récurrent et repris sans répit tel un leitmotiv ou un refrain, raconte la vie du couple émaillée d'étreintes et d'épanchements, de lascivité et de complicité, de cajoleries et de minauderies, mais aussi de scènes de ménage et de bouderie, pour terminer inévitablement sur la réconciliation et la rémission, ces formidables antichambres de l'amour éternel. Parmi les tableaux les plus éloquents, on se doit de citer «La baignade des cygnes» que les danseurs, carrément en maillots de bain, et sur fond d'une musique reproduisant le clapotis des eaux et le déferlement des vagues, simulent à la perfection, allant jusqu'à parodier ce frisson qui vous traverse tout le corps au premier contact avec les eaux de la mer. Et c'est probablement là toute la force du Ballet de Rome: une interprétation fidèle par le corps (les mains et les jambes en particulier) des sentiments les plus profonds et des sensations corporelles que parfois le verbe lui-même peine à exprimer dans toutes leurs nuances. L'absence d'ensemble dans ce Ballet serait peut-être due à cette volonté de mettre en exergue et avec beaucoup de netteté ces états d'âme et d'esprit qu'un jeu de groupe, si cohérent qu'il puisse être, pourrait ne pas révéler dans toute leur profondeur.