Samedi 20 octobre, à l'Acropolium de Carthage, trois jeunes accordéonistes polonais ont donné un brillant concert : Piotr Tomala, Martina Chjnacka et Mikolaj Stolarski. Qu'il célèbre les noces ou les mariages, l'accordéon nous invite à la fête sinon à la danse. Dans notre imaginaire, cet instrument à connotation «populaire», est lié à une époque, à une ambiance joyeuse et même des lieux de plein air : les bords de Marne, par beau temps, le bal musette, les guinguettes, les canotiers et les robes à fleurs. Les choses ont évolué, notre imaginaire s'est enrichi, l'instrument appelé le «piano du pauvre» entre les mains d'Astor Piazzola notamment, avec ses compositions et ses arrangements a pris de la hauteur. L'accordéon, en solitaire ou accompagné d'autres instruments à vent est entré dans les lieux fermés et les salles de concert et même dans une cathédrale à Carthage devant un public attentionné, ravi. Le trio «Free Accordions» se présente pour la première fois à Tunis, heureux de jouer dans cet imposant édifice, il a choisi un programme qui brasse large, des genres différents qui vont de la «tarantella» dansante au tango lancinant ou encore aux mouvements rhapsodiques. Un voyage long qui nous emmène du répertoire d'orge baroque de Dietrich Buxtehude (XVIIe siècle) aux sonorités actuelles du tango de Richard Galliano. Départ en gaieté avec une tarentelle de Rossini (arr. Jerzy Lukasiewicz) entraînante, les accordéons se sont éclatés, riches en sonorités aigües, une sorte de mise en bouche. L'envol commence bien et avec entrain. Et puis, un saut dans le temps, rencontre avec Richard Galliano, célèbre accordéoniste qui a joué à l'Acropolium et à Hammamet. Une pièce Tango pour Claude arrangée par le trio, passion et douleur, envolée et notes mélancoliques, l'Argentine est proche, une pensée à Piazzola, maître de l'accordéon à qui Galliano a rendu de nombreux hommages. Retour à un air connu de Ravel Ma mère l'Oye (suite), 5 pièces doucereuses aux noms désuets, Laideronnette, impératrice des pagodes, Petit Poucet, le tout précédé d'une pavane soporifique. On se réveille, on change de registre, La rhapsodie roumaine d'Enescu, la plaquette de l'accordéon prend le large, les anches sont en branle, le trio explose, les bras font des ronds, lyrisme slave et fougue stimulante. Retour au calme Prélude et Fugue de Buxtehude, ce n'est plus des accordéons qui donnent le son, on ferme les yeux, c'est du baroque, un clavecin dans une cathédrale, Bach n'est pas loin. Encore une touche française, une pavane de Fauré (op 50) tout en dentelles, le roi, la cour, le flirt et les joyeusetés. Une chanson macédonienne aux éclats stellaires, rondes exaltantes, musique débridée, ça chante de partout, ça gesticule, ça saute, ça brille de mille éclats, l'Acropolium est investi de rythmes tziganes, et d'images de films d'Emir Kusturica. On reste sur place, ça tournoie, les accordéonistes en verve en mouvements attaquent des airs traditionnels balkaniques, pleins feux, des cris et de l'ivresse. Un exploit, les musiciens sont au ciel, le public l'accompagne.