Si je dis : «l'ANC est une grande marmite», je fais une métaphore. Ou bien «l'ANC est comme une grande marmite», me voici dans la comparaison. Dans les deux cas de figure, la ressemblance est à peu près la même, sauf dans la mise en valeur de l'image. Pour en avoir le cœur net, j'ai consulté le Petit Robert qui m'offre, à travers ce vocable de «marmite», et tout ce qui tourne alentour, un lexique approprié qui ne manque pas d'humour plaisant, loufoque ou même sarcastique. Pour la comparaison, je me suis aperçu que ce grand récipient possède, en effet, trois pieds—comme la troïka à trois têtes—, deux anses qui seraient les «oreilles» et un couvercle pour que le contenu liquide ne baisse pas trop, comme lorsqu'on prépare une bouillabaisse et que pour garder le jus «tu fais bouillireu... et tu abaisseu...» comme dirait le marmiton de Marseille. Dans la grande marmite de l'ANC donc (la métaphore), ça bout depuis plus d'un an et on ne sait plus, au juste, quand ce sera cuit, ni quelle saveur cela aura, avec tout ce que l'on y aura jeté, pêle-mêle. On ne sent encore rien et on n'a rien goûté. Les fins gourmets de la grande marmite, du lablabi et de la hargma, du côté de Bab Jedid ou de Bab Souika, savent bien de quoi je parle à propos d'odeurs et de saveurs quant à ces mets populaires succulents très prisés, matin et soir, et qui les attirent comme les poissons, les chats. A l'ANC, il y a beaucoup de marmitons, de gâte-sauces et même de tournebroches, pour ceux qui ne peuvent attendre ou savent patienter plus longtemps. Et dans la grande marmite pleine d'ingrédients mixtes et dont on ne connaît pas, véritablement, la nature et la teneur, ça mitonne et ça marmotte confusément; ça gargouille et ça chuinte, à n'en plus finir. Parfois, souvent même, quand la clientèle —le bon peuple pardi!— en a marre d'attendre car la faim creuse l'estomac, on voit des bandes de marlous arriver pour mettre de l'ordre dans les rangs et autour de la grande marmite. Ce sont des souteneurs déguisés qui viennent marmiter (bombarder) les clients récalcitrants. Et, pour commencer, ils leur rendent la mâchoire en marmelade afin qu'ils ne marmonnent plus. Y passent, aussi, outre les «marmousets», les marmots — qui ne sont, ces derniers, pas aussi marmots que ça d'ailleurs — qui ont une étonnante dégaine et auxquels on a, tout simplement, volé la révolution. Mais, heureusement pour tout le monde, nous n'en sommes pas encore au marmitage intégral. Parfois, aussi, quand le grand maître-gargotier arrive — on le reconnaît à son nez en pied de marmite, justement —, toute la clientèle se tait à l'unisson, religieusement, retient son souffle, tout en salivant, car c'est bien à lui qu'échoit l'honneur de lever enfin le couvercle de la grande marmite. Pour voir si c'est cuit, si c'est bon constitutionnellement, si ça flatte les muqueuses, les papilles et le palais, même celui de Carthage et du gouvernement. Et c'est un instant terrible car si ce n'est pas convenablement bon, officiellement bon, c'est alors les marmitons et les gâte-sauces qui vont en prendre sur la poire. Mais le grand maître-gargotier qui est un fin gourmet, qui s'y connaît en ail dans le gigot et en cumin dans le lablabi, en bouquet garni pour le pot-au-feu, en demi-tête de mouton, en parti pris, en beau et mauvais temps — car c'est un vieux de la vieille —, repose soudain le couvercle, sourit néanmoins, gracieusement, à la foule qui ne salive plus et déclare péremptoirement : «Démocratiquement parlant, ce n'est pas encore cuit et ça ne sent même pas. A mon avis, soit vous attendez encore une bonne année, soit vous changez toute la marmite avec ses marmitons. Vous pouvez utiliser une grande cocotte-minute ou, mieux encore, un autocuiseur. C'est plus moderne, non ? Il faudra changer tous les ingrédients qu'il y a là-dedans. Quant au contenant, plus d'oreilles ni de pieds. La troïka a duré trop longtemps et elle ne tient plus sur ses pattes». Et lorsque le grand maître-gargotier s'en va, la grande marmite se remet à marmotter confusément, à gargouiller, à chuinter, comme si de rien n'était...