Les cuisines du monde s'exportent comme n'importe quel produit commercial ; cette vérité ne date pas d'aujourd'hui, mais dans un monde globalisé comme celui où nous vivons actuellement, elle ne fait que se confirmer à la plus large des échelles. La gastronomie d'un pays voyage à travers le temps et l'espace et, dans ses pérégrinations, elle peut connaître du succès à tel endroit du globe et décevoir ou laisser indifférent dans tel autre. En Tunisie, nous avons subi de nombreuses influences culinaires à travers notre histoire chargée d'invasions et de conquêtes étrangères. Le facteur géopolitique a sans doute plus ou moins marqué nos papilles; mais en matière de goûts aussi délicats, la nationalité du cuisinier importe peu si la saveur y est. En tout cas, le Tunisien de 2010 a ses préférences concernant les préparations d'origine étrangère. Dans son assiette, la cuisine la plus présente est italienne ; mais la gastronomie orientale n'est pas absente de son menu. Il grignote certes de temps en temps quelques spécialités espagnoles, américaines ou françaises mais d'une manière générale, son ventre est très peu voyageur ! Le rival italien Aujourd'hui, le rival le plus dangereux du bon couscous berbère bien de chez nous, c'est le macaroni. On en mange plus d'une fois par semaine à la maison ou au restaurant. On sélectionne les marques, c'est sûr, mais sous quelque forme ou dessin que se présentent les pâtes italiennes, le Tunisien en consomme une quantité remarquable. Nous nous classons en effet en deuxième position après l'Italie avec plus de 16 kilogrammes par habitant et par an. Après les pâtes, viennent les pizzas : on en prépare de plus en plus à la maison, mais la plupart des adeptes préfèrent les consommer en ville. C'est ce qui explique le nombre croissant des pizzerias dans les grandes agglomérations. L'engouement pour cette préparation a pris de l'ampleur à la fin des années 80 et au début des années 90. Aujourd'hui, il est toujours aussi remarquable malgré la concurrence des produits du fast-food américain. Les adolescents se passionnent également pour les sandwiches « panini ». Et au petit déjeuner, ils commandent très souvent un capuccino. Les saveurs de l'Orient arabe Les préparations d'origine orientale séduisent aussi de nombreux Tunisiens. Dans les gargotes, et depuis une trentaine d'années, la vogue est au sandwich à la « chawarma ». Des appellations à consonances turques du genre de chich tawoug, chich kébab sont de plus en plus fréquentes sur les enseignes de ces locaux. Côté sucreries et pâtisseries, l'Orient arabe est encore plus présent : le halva syrien appelé « chamiyya » est très prisée dans les foyers tunisiens notamment au mois de Ramadan. Simple ou farcie aux fruits secs, cette confiserie se vend relativement cher sous nos cieux. Elle entre néanmoins dans les ingrédients du sandwich sucré que prennent le matin beaucoup de fonctionnaires et d'ouvriers. Les douceurs libanaises font elles aussi, une entrée plus ou moins remarquable dans les pâtisseries tunisiennes, mais la baklawa turque et le maqroudh hafside n'ont pas encore de vrais rivaux. Il faut reconnaître d'autre part que nos confiseurs et nos pâtissiers de luxe s'inspirent de plus en plus des Européens dans la conception des gâteaux qu'ils proposent à leurs clients: sur ce plan, les modèles italiens et français surclassent les autres douceurs étrangères. Une présence très timide ! En dehors de la pâtisserie, la gastronomie française brille par son absence dans les milieux tunisiens. Rares sont les catégories sociales qui cuisinent à la française. Habitués à la sauce tomate en tout, les Tunisiens trouvent les plats français un peu fades. Un de nos amis restaurateurs remarque à ce propos que, même chez eux, « les Français se laissent facilement tenter par les saveurs exotiques venues des autres continents. En ce moment, c'est la cuisine asiatique et plus particulièrement japonaise qui fait fureur dans leurs restaurants. Les fast-food américains envahissent le pays et colonisent surtout les ventres des jeunes! » Chez nous, les Amerloques gagnent du terrain grâce aux chips, au pop-corn, aux corn-flakes, aux hamburgers et aux cheeseburgers. Le Milk-tea est peut-être la seule spécialité anglaise qui ait des adeptes en Tunisie. Les Espagnols, quant à eux, nous ont appris à aimer la paella, et des Helvètes, nous ne retenons rien d'autre que…le petit suisse ! L'Extrême Orient est encore très loin de nos tables, et la Chine ne nous exporte pour l'heure que ses produits textiles et industriels. La gastronomie chinoise, c'est peut-être pour bientôt ! Le plat national avant tout ! Toujours est-il que nonobstant la concurrence des pâtes italiennes, le couscous tunisien demeure le plat national favori. Qu'il soit préparé à la viande de mouton, au poulet et au poisson, on ne s'en lasse quasiment jamais. Au Sahel et dans le Sud tunisien, nombreuses sont les familles qui en font un plat quotidien à longueur d'année. Concernant les autres aliments tunisiens qu'on préfère à toute nourriture étrangère, on citera notre chère mloukhiyya et la chakchouka bien épicée. Mais la salade méchouia, le lablabi chaud et très relevé ainsi que le plat tunisien aux ingrédients extrêmement variés ne sont pas en reste ! Badreddine BEN HENDA
Des chiffres à méditer *La production nationale de pâtes a atteint en 2003, 210.000 tonnes dont 50.000 de couscous *Sur les 16 unités de fabrication de pâtes installées en Tunisie, 4 ou 5 seulement sont réellement compétitives à l'échelle internationale. Le secteur emploie 1000 personnes : 700 dans la fabrication des pâtes et 300 dans la production du couscous. *La production de pâtes dans le monde est de presque 10 millions de tonnes par an. L'Italie est le premier producteur mondial avec 3 millions de tonnes dont la moitié est exportée. La France produit annuellement 275.000 tonnes, l'Espagne 210.000 tonnes. *Mieux classée que les pays du Maghreb, la France produit 112.000 tonnes de couscous annuellement. *Les Italiens sont les premiers consommateurs de pâtes au monde avec 28 kg par tête et par an. La Tunisie est deuxième avec 16 kg. En Europe, les Grecs consomment annuellement 8,7 kg, les Français 7,4 kg et les Espagnols 4,8 kg.