Décidément, les conversations de café du commerce contiennent des fois plus d'enseignements que certains colloques. Bien des réflexions alimentent le débat autour d'un café. Dans tout un champ psychologique et social. L'autre jour, rencontre entre vieilles connaissances quinquagénaires au café du coin. Un café où persiflent les intellectuels. En compagnie d'un ami qui, la soixantaine bien tassée, bricole encore dans l'avant-garde. Il se sent obligé de répondre de ses vingt ans. Pourtant, personne ne le lui demande. Mais il partage avec le groupe ce goût de dire les choses «sans prétention», mais de les dire vachement bien sans en avoir l'air. Ouverture d'un nouveau dossier. A l'ordre du jour : les enfants d'aujourd'hui. Un autre phénomène social, comme on dit. Ils sont devenus vraiment difficiles... Avec eux, on a toujours du pain sur la planche... Plus ils en ont, plus ils en demandent... Ils auraient tous fait la même école... On n'en parlera jamais assez... Libre à chacun de penser et de dire qu'il n'y a pas le feu à la maison. Dans tous les cas, il flotte sur tout le périmètre parental une sacrée fumée, lourde, épaisse et noire par moments. S'il n'y a pas le feu, il règne pourtant un malaise, caractéristique de ces périodes qui précèdent la crise. Et tous ces parents quinquagénaires de leur état de se retrouver retranchés dans leur camp, d'un commun accord. Parce que leurs enfants élèvent le ton aujourd'hui. Essentiellement du côté de la mère. Du côté du père, c'est encore hésitant. Parce que la société phallocratique semble avoir encore les racines dures. «C'est qu'on leur parle un peu trop des droits de l'enfant. Dès le primaire déjà, par les temps qui courent», souligne le sexagénaire du groupe. Et tous de s'étendre, à tour de rôle ou en croisement, avec des grincements de dents, en explications, en citations d'histoires vécues au passage, en échanges de points de vue, en exclamations, en comparaisons entre les jeunes d'hier, ceux qu'ils ont été de leur temps à eux, et ceux d'aujourd'hui, les enfants des temps modernes... Et de se lamenter de concert sur leurs erreurs d'éducation trop permissive à leur goût, sur l'absence ou le manque du sens de la responsabilité chez leur progéniture. Alors que de leur temps à eux, on était pratiquement vieux avant d'être adulte. Parce que ce ne sont pas les années qui font l'âge, mais l'expérience... Parce qu'à dix-huit ou dix-neuf ans on était responsable... Parce qu'à cet âge-là, on gérait déjà son devenir et qu'on était plus mûr que les gosses de trente ans, voire plus, d'aujourd'hui... Et tous, dans un «mea-culpa» collectif, d'admettre, avec philosophie, que leur faute première ça a été un peu de «se projeter» dans leurs enfants, de vivre à travers eux ce dont ils ont été privés pendant leur enfance et leur jeunesse : la compréhension et la clairvoyance, le bien-être psychologique et social, la relation à l'horizontale et le reste... de prendre à travers eux leur revanche sur le destin, en quelque sorte. Et tout commence par là, conviennent-ils. Par un bâchage. Suivent alors le laisser-aller, le laisser-faire. Ils font désormais recette dans tous les ménages, ou presque. Esprit ouvert oblige. Et les enfants ne se font pas prier pour tirer profit de notre compréhension et/ou amabilité. Leur parler alors avec sérieux, leur histoire sociale et économique n'est pas une mince affaire. Surtout maintenant avec l'explosion de la parabole, d'Internet, de Facebook, du virtuel et tout ça. Sans compter l'histoire du permis de conduire très jeune parfois. Façon de faire comme les autres qui ne sont pas meilleurs... Et le sexagénaire de ces assises du café de conclure le débat : «Cela fait peur. Dans un premier temps. Car vient ensuite un sentiment de vertige devant pareille prolifération. Un peu plus tard peuvent apparaître les signes d'une franche panique. On y croit, on n'y croit pas, mais on ne reste pas indifférent. Accusés, levez-vous : nous sommes tous coupables!».