Il est des peines tellement marquantes dans le parcours d'un écrivain, qu'elles sont à l'origine de genres d'écritures à part. La littérature carcérale en est un exemple. C'est ainsi que, pour la première fois en Tunisie, la Journée mondiale de l'écrivain en prison a été célébrée par un événement culturel. La date du 15 novembre a réuni les caravanes documentaires et la toute jeune association «Tounes wal kiteb» (la Tunisie et le livre) à El Hamra, où tout un programme a été proposé aux invités. La rencontre a débuté et s'est terminée par une projection. Le film allemand La vie des autres de Florian Henkel Von Donnersmack (137', 2006) a ouvert la manifestation. Il s'agit d'une œuvre de grande sensibilité, qui décrit la froideur d'un régime particulièrement oppressant, et ce, à travers l'histoire d'un écrivain et d'un officier de la Stasi (police secrète de l'ex-Allemagne de l'Est), dont les chemins se croisent et dont les destins s'en trouvent chamboulés. Le deuxième film est un documentaire sur la vie du cinéaste soviétique Tarkovski, réalisé en 1999 par Chris Marker, dans le cadre de la série Cinéastes de notre temps. Intitulé Une journée d'Andreï Arsenevitch, ce film est un clin d'œil au roman Une journée d'Ivan Denissovitch de l'écrivain dissident soviétique Aleksandr Soljenitsyne et un double hommage à deux grands réalisateurs, d'horizons différents, dont ce documentaire signe la rencontre. La journée ne pouvait se dérouler sans la présence d'écrivains, anciens prisonniers politiques. Jalloul Azzouna, Mohamed Salah Fliss et Gilbert Naccache ont été choisis par les organisateurs pour témoigner de leurs expériences respectives. Avant cela, une lecture a été donnée par Hasna Touati de deux textes poétiques de l'écrivain allemand Lutz Rathenow, traduits en arabe par Anis Ben Amor. Le premier s'intitule «Al khadem» (le serviteur) et le deuxième «Al forsa» (la chance). Ces deux textes sont le reflet du Moi et de l'Autre dans l'expérience de l'écrivain avec l'oppression. Rathenow use tantôt de l'humour, tantôt du lyrisme mais il n'a pas été évident, dans la traduction, de conserver l'âme des textes. Les membres de l'association «Tounes wal kiteb» ont eux aussi laissé leur empreinte dans l'événement, où trois d'entre eux se sont exprimés à propos des prisons intérieures. Azza Filali a choisi la prison des mots comme thème d'une réflexion qui l'a amenée, elle comme l'audience, à se demander dans quelle mesure la liberté d'expression a été acquise après le 14 janvier 2011. Les mots, d'apparence libérateurs, ne sont-ils pas en même temps le vecteur d'une nouvelle aliénation? Une «génération nourrie au silence» et à «des années de mutisme» peut-elle être guérie par le seul pouvoir des mots? La parole a été ensuite cédée à Mondher Jabbari qui s'est exprimé sur les nouveaux tabous. Ils sont, selon lui, des produits anciens-nouveaux, nés du besoin des sociétés humaines de s'organiser. De là naît peu à peu l'oppression, quand le «possible» laisse place au «permis», notamment par l'introduction de la notion de morale et des interdits religieux. Le troisième intervenant, Raouf Seddik, a parlé d'un cas particulier, celui de la liberté d'expression du journaliste, pendant la dictature, mais aussi dans les «démocraties». «Les contraintes ne sont pas les mêmes : censure pour l'un, intérêts économiques et politiques pour l'autre, mais elles existent dans les deux contextes», affirme Seddik, qui appelle à une vigilance, à la fois véhémente et souple. Le passage aux témoignages des trois écrivains invités a été le moment le plus attendu de la manifestation. Mohamed Salah Fliss a choisi de produire un texte pour parler de son expérience avec la prison et les bourreaux. Son écriture imagée a relevé les différentes dimensions de ce qu'endure une personne de la sensibilité d'un écrivain en prison. Le recul apparent et l'usage de l'arabe littéraire dans ce texte n'ont rien omis de l'impact qu'il a eu sur l'assistance. Jalloul Azzouna a, quant à lui, voulu rendre hommage à tous les détenus politiques, de toutes les sensibilités, tout en parlant de ce qui, pour lui, constitue sa fierté pendant son passage en prison. Il a, en effet, travaillé sur la mise à jour de la bibliothèque de l'institution et a participé à y introduire la lecture. «Pour un écrivain, la prison est une aubaine», affirme Gilbert Naccache, qui rompt ainsi avec tout ce qui a été dit avant lui. «En prison, l'écriture est la forme de résistance la plus importante. Pendant que vous écrivez, vous êtes un homme libre», a-t-il ajouté. Cet homme, devenu écrivain «grâce» à la prison, reconnaît qu'être enfermé n'est pas une partie de plaisir, «mais pour écrire c'est idéal», a-t-il relevé. En présentant son expérience carcérale de cette manière anecdotique, il a clôturé en beauté la partie témoignages de la journée internationale de l'écrivain en prison et, surtout, montré, encore une fois, combien le bourreau est petit devant la grandeur de ses victimes. La pensée a des ailes. Nul ne peut arrêter son envol, n'est-ce pas ?