Longtemps, les prisons et autres centres de détention tunisiens ont été appréhendés par une mémoire collective, comme les fiefs de toutes formes de maltraitance et d'atteinte aux doits de l'Homme... La plus redoutée est sans doute celle de Borj Erroumi (gouvernorat de Bizerte qui compte en tout trois prisons) que les écrits («Cristal» de Gilbert Naccache) et autres témoignages d'anciens détenus en ont dressé un tableau noir, fait d'horreur, de sang et d'injustice... De récents témoignages (prisonniers de l'affaire du complot de 62 et des perspectivistes) qui viennent remuer les vieilles blessures d'un chapitre sombre de notre histoire, parlent de l'existence, dans cet établissement, d'une cave (damous) (sorte de puits de plus de 30 marches, utilisé jadis par les Français pour stocker leurs réserves) qui aurait servi de lieu de détention et de torture au temps de Bourguiba et même après...Une réputation confirmée par le blocus qu'exerçaient les deux régimes et l'opacité avec laquelle on abordait les questions liées au système pénitentiaire (judiciaire également). Les barreaux saisissaient fermement avec les détenus, l'opinion publique et autres organismes de défense des droits de l'Homme. Mains liées et bouches muselées, rares sont ceux qui se risquaient dans ces eaux troubles et ces zones qualifiées d'interdites. Une question de sécurité nationale Parmi ceux qui l'ont fait, il y a eu le blogueur et cyber activiste Sami Ben Gharbia, cofondateur du blog collectif Nawaat, qui notait dans ce sens (La carte des prisons tunisiennes, le 25 septembre 2006) que: «Pire qu'un tabou, le système carcéral en Tunisie est une affaire d'Etat, une question de sécurité nationale. Tous ceux qui ont osé aborder le thème, révélant ses secrets ou pointant du doigt ses dysfonctionnements ont payé cher leur «imprudence». En témoigne le cas du journaliste Hédi Yahmed. Convoqué par le procureur de la République, puis contraint à démissionner de l'hebdomadaire «Réalités» puis de quitter la Tunisie suite à un article sur les prisons tunisiennes qu'il a publié le 12 décembre 2002 dans le cadre de la célébration de la Journée internationale des droits de l'Homme.» Sami Ben Gharbia indique également qu'avoir une idée sur le nombre exact des prisons et des établissements pénitentiaires, connaître le taux de la criminalité dans le pays, ou le nombre de sa population carcérale relevait de l'impossible et que la Tunisie était parmi les rares pays à ne fournir aucune information pour les différentes enquêtes de l'ONU sur les tendances de la criminalité et le fonctionnement du système judiciaire et que même si elle le faisait elle se gardait de divulguer les secrets de son système carcéral. Ainsi et comme ce dernier le note encore, on ne pouvait recenser précisément le nombre des prisons et établissements pénitentiaires (pour adultes/pour mineurs/par sexe), ni avoir une idée sur les ressources financières du système carcéral, sur le nombre des personnes incarcérées, par catégorie d'incarcération, ou encore connaître le temps passé en prison par des adultes avant jugement ; la durée de la peine effectivement purgée en prison par des adultes après leur condamnation; le nombre des personnes en liberté surveillée, par groupe d'âge ou celui de ceux en liberté conditionnelle, par groupe d'âge ou encore le nombre de détenus condamnés, par sexe et groupe d'âge. Un classement occulté Une politique qui a valu, en 2002, à la Tunisie la 4 ème place parmi les pays les plus répressifs de la planète passant avant la Chine, Israël et le Brésil, selon des statistiques de sources différentes dont l'ONU, écrit encore le blogueur. Un classement qu'on a essayé d'enterrer, après le 14 janvier 2011, tant bien que mal, avec les amnisties générales lancées par l'ancien et l'actuel gouvernement provisoire et avec l'adoption pour la première fois d'un projet de loi d'amnistie dans notre pays (promulgué le 20 février 2011 et publié dans le Jort le 22). Ces amnisties, avec leurs défauts d'application et leurs lots d'iniquité ont contribué à la remise au jour de la question des défaillance du système pénitentiaire et judiciaire tunisien. Les portes des prisons se sont , dans ce contexte, ouvertes au grand public via les caméra de la TV privée Hannibal qui a diffusé une série de reportages filmés dans deux prisons (femmes/hommes). Une manière de diminuer, un peu, les filtres qui masquent la réalité crue et alarmante des choses. Mais ces émissions ont surtout fait dans le sensationnel, voir dans l'effraiement en mettant l'accent sur un système judiciaire redoutable et inflexible.. Une autre affaire, toute récente, vient aussi mettre la lumière, entre autres, sur notre système carcéral. C'est l'affaire connue sous le nom «du cheikh de Charles Nicolle» et ses sinistres remous. Celle d'un vieil homme qui s'appelle Ahmed Lazreg, qu'on croyait exécuté en 1968 et qu'on a retrouvé il y a une année dans un état lamentable (squelettique avec des vers qui lui sortaient du corps!) et enchaîné pour être hospitalisé à l'hopital Charles-Nicolle et finir par disparaître, de nouveau, quelques mois après...Cette récente bombe lancée, par la famille de la victime et l'association « Liberté et équité» qui s'est chargé de l'affaire du cheikh depuis sa découverte, a remis au jour la thèse des prisons secrètes, rendant impératif la transparence de la politique carcérale et la réforme du système pénitentiaire et judiciaire tunisien qui souffrent, toujours, de gros problèmes dont surtout les mauvaises conditions de travail des agents et de la détention des prisonniers. Mesures urgentes et réforme Le ministre de la Justice, Nourredine Bhiri, a décidé de se pencher sérieusement sur la question en rencontrant, le 7 avril dernier 2012, des juges et des assistants pour parler de la réforme de la politique pénitentiaire. Il serait, ainsi, question de plusieurs nouvelles mesures urgentes pour améliorer les conditions matérielles et morales des professionnels du secteur (lois fondamentales pour régir le travail), parallèlement à la consolidation de l'infrastructure pénitentiaire et au renforcement des équipements au sein de ces unités. Ledit programme de réforme fera en sorte d'alléger la peine d'emprisonnement, de mettre en place des «peines de substitution» dont la peine d'intérêt général, d'organiser des sessions de perfectionnement au profit des agents pénitentiaires et de relancer l'expérience des ateliers de rééducation en collaboration avec plusieurs ministères et organisations, de fermer quelques unités pénitentiaires qui ne sont plus opérationnelles et d'autres encore. Les mesures annoncées par le ministre en vue de réformer la politique pénitentiaire sont plus qu' urgentes au vu de l'état de délabrement de nos prisons et de dysfonctionnement de leurs politiques intérieures. Nous avons pu constater cela, dimanche dernier, en visitant la prison civile de Borj El Amri et le centre de détention de Mornag qui nous ont ouvert leurs portes lors du déplacement officiel du ministre de la Justice.