Depuis la détérioration des conditions sécuritaires en Syrie, des milliers de Syriens ont dû quitter leur pays pour trouver refuge dans les pays voisins ou dans le Maghreb. En Tunisie, leur nombre n'est pas encore connu mais ils seraient entre 2.500 et 3.000 réfugiés. Nous avons rencontré certains d'entre eux pour savoir comment ils vivent et qui les aide. Reportage. Samira a trois filles, de 7, 10 et 17 ans, et un garçon de 16 ans qu'elle présente comme « l'homme de la maison ». Le mari, ancien commerçant, n'a pas pu venir avec eux, faute de moyens. Il est toujours dans l'un des quatorze camps de réfugiés, au niveau des frontières turques, avec les 122.000 autres compatriotes. La famille vivait à Alep avant de fuir la Syrie il y a quatre mois, en prenant d'abord l'avion pour aller en Algérie, puis la voiture pour rejoindre la Tunisie. Actuellement, elle habite à la cité Ettahrir avec deux autres familles syriennes. Sa seule source de revenus est l'aumône dans les mosquées. Les enfants, déscolarisés, vendaient des livres coraniques dans les cafés, aux Berges du Lac, mais le Premier ministère leur a interdit de continuer cette activité. Une partie de ce qu'ils obtenaient permettait de régler le loyer, soit 350DT par mois, pour une maison de trois chambres et une cuisine. Une autre partie servait à payer les allers-retours au Lac, en taxi. La famille compte beaucoup sur le soutien des associations qui viennent leur rendre visite régulièrement. Malgré cela, Samira ne se sent pas à son aise en Tunisie. Elle souffre de l'indifférence de ses voisins, qui n'ont jamais proposé de l'aider. Elle espère retourner en Syrie dès que les conditions sécuritaires le permettront. Zahra habite le même quartier que Samira. Elle a deux garçons de 7 ans, un autre âgé de 16 ans et une fille de 14 ans. Pour venir en Tunisie, les parents ont dû vendre tous leurs biens. Ils ont fait le voyage en deux fois, par avion, en passant d'abord par le Liban. «Le Liban est le pire pays pour se réfugier. Aucune aide n'est prodiguée aux Syriens, et le loyer est deux fois plus cher qu'en Tunisie. Il paraît que le mieux c'est l'Egypte. Même ici, grâce à Dieu, on n'a pas à se plaindre», confie la mère. Tandis qu'elle continue à préparer les «Chich Barak», des pâtes farcies à l'oignon et à la viande hachée, ses deux jeunes fils s'amusent à raturer un cahier. L'un deux montre comment il écrit son nom : un demi-cercle, suivi de petites barres horizontales et verticales, et plus loin, une barre horizontale suivie d'un trois inversé avec un rond à la fin «Abd Allah». Les deux frères sont inscrits en première année primaire, mais la sœur n'est pas scolarisée. Elle ne veut pas aller à l'école parce qu'elle ne parle pas français. Elle est, toutefois, inscrite dans une école coranique. Contrairement à Samira, la famille est soutenue par ses voisins. Le père a trouvé un emploi chez un boucher du quartier et le fils travaille avec un commerçant à Sidi Boumendil pour 300DT par mois. Ce montant permet de régler le loyer de la maison, constituée de deux chambres et une cuisine. La société civile au secours des Syriens Face aux difficultés que vivent les réfugiés syriens en Tunisie, des organismes nationaux et internationaux se mobilisent pour leur venir en aide. Le Croissant-Rouge tunisien (CRT) enquête, depuis le mois d'août, sur le nombre de réfugiés syriens en Tunisie, et leur emplacement. Ce travail est mené en collaboration avec le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Unhcr), et quatre associations tunisiennes : l'association de bienfaisance, association de coopération et de communication sociale, association El-Marhama, association des jeunes médecins sans frontières. D'après Yassine Chagrani, responsable de communication au CRT, les réfugiés sont présents principalement dans les régions de Kasserine, Gafsa et dans le Grand-Tunis (cités Ettadhamen et Ettahrir), et on estime leur nombre entre 2.500 et 3.000 réfugiés. Une fois le travail de «mapping» terminé, le CRT et les autres organismes impliqués fourniront aux réfugiés de quoi manger et où dormir. Selon Chagrani, la situation des réfugiés syriens est inquiétante. «On observe des cas de mendicité à cause de la pauvreté, des cas de mariage coutumier des hommes tunisiens avec des filles syriennes, et quelques cas de prostitution à La Marsa. Plus le temps avance, plus la situation financière des réfugiés se détériore », dit-il. Le CRT a ouvert un compte postal (numéro 391111), mis à la disposition des Tunisiens qui veulent aider le peuple syrien financièrement. «Les Syriens ont quitté la Syrie pour fuir la guerre, sans avoir eu le temps de se préparer ni financièrement ni moralement. On compte sur la générosité des Tunisiens pour les sortir de cette mauvaise situation». L'association Dignité et liberté préfère, elle, aider les Syriens dans les camps de réfugiés en Turquie, où elle leur offre de quoi se vêtir et se soigner. Les membres ont rendu visite à 1.500 réfugiés syriens, installés dans différentes régions en Tunisie : Grand-Tunis, Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa, Tozeur, Jérid et Bir Bouregba. D'après Dhia El Hak Boudhina, un des membres de l'association, la plupart d'entre eux sont kurdes. «Ils vivent dans des conditions difficiles, mais ne veulent pas travailler pour améliorer leur situation. Nous n'avons pas pu trouver des solutions convenables et durables pour eux, c'est pourquoi nous préférons agir autrement». Bien qu'ils aient constaté le même problème concernant le travail des réfugiés, les membres de l'association Ihsen continuent d'apporter une aide morale et matérielle à des familles syriennes à la cité Ettahrir et à Montfleury. «Aujourd'hui, ces familles n'ont pas d'autres choix que de compter sur les interventions personnelles des gens, et à moindre mesure, sur les associations», explique Wided Jarrar Ben Mariem, présidente de l'association à Tunis. Le samedi 17 novembre, un événement mondial intitulé «Marche pour les enfants en Syrie», a permis de rassembler tous ceux qui œuvrent pour aider les Syriens, d'une manière ou d'une autre. En Tunisie, cette marche devait avoir lieu à l'avenue Habib-Bourguiba à Tunis, à partir de 14h00. Casse-tête administratif Amir vient de Kafar Batna, où il a perdu sa maison et son usine de décoration. Cela fait dix mois maintenant qu'il vit et travaille à Ben Arous. Sans ses amis et ses connaissances en Tunisie, il n'aurait jamais pu ouvrir un compte bancaire, monter sa société de décoration avec deux associés tunisiens, et trouver un logement. «Les chiens errants ont plus de droits que nous en Tunisie. Nous n'avons aucun droit, aucun statut», se plaint Amir, qui n'a toujours pas de carte de résident. Il y a quelque temps, un client tunisien ne lui a pas réglé un travail d'une valeur de 9.000DT, parce qu'aucun contrat n'a été établi. Malgré les difficultés, Amir se bat pour sa femme, ses quatre enfants et son frère Ammar, qui l'ont rejoint il y a un mois via l'Algérie. Contrairement à la Tunisie, ce pays ne demande pas de visa. «Le visa pour la Tunisie est très difficile à avoir. Certains arrivent à l'obtenir, notamment au Liban, moyennant une somme d'argent». A part Amir, qui a une carte certifiant avoir demandé le droit de résider en Tunisie, les autres membres de la famille sont en situation irrégulière. Le plus âgé des enfants étudie dans une école primaire privée, parce que les procédures d'inscription sont plus souples que pour les écoles publiques. «Ma situation financière s'améliore de jour en jour en Tunisie. Mon seul souci, c'est l'administration tunisienne», confie Amir, qui veut s'établir définitivement en Tunisie. D'après Naoufel Tounsi, collaborateur de terrain à l'UNHCR, le statut des Syriens en Tunisie est comparable à celui des Libyens en 2011. Ils sont considérés comme «nouveaux arrivants», mais n'ont pas le statut de réfugié. Par ailleurs, le nombre de «demandeurs d'asile» syriens en Tunisie est très faible. Ce statut, temporaire, est valable tant que la décision d'octroi du statut de réfugié n'a pas été prise. Le statut de réfugié devrait permettre aux bénéficiaires, selon la convention de 1951 et le protocole de 1967, d'avoir tous les droits et obligations que les citoyens du pays d'accueil. En Tunisie, parmi les réfugiés qui ont obtenu ce statut, certains n'ont toujours pas de permis de voyage ni de certificat de résidence selon Tounsi, mais leur présence est tolérée par les autorités. Que ce soit en Syrie, en Turquie, ou en Tunisie, les Syriens vivent des moments très difficiles. Malgré toutes les bonnes volontés, notamment de la société civile, beaucoup reste à faire sur le plan législatif et administratif en Tunisie. Les conditions de vie des réfugiés syriens ne peuvent s'améliorer durablement, sans une régularisation de leur situation.