Il a fait très chaud en ces journées du 8 au 11 novembre 2012 à Gabès. On en avait pourtant fini avec les siestes grenadines, cette période de l'année qui désigne, en Tunisie, les grosses chaleurs tardives qui surviennent au début de l'automne; et qui font mûrir les grenades. Ce que les Romains appelaient la «pomme punique» (par allusion à l'ancienne Phénicie, où l'on entretenait de grands vergers de grenadiers), ce fruit, à petits grains, à la pulpe gorgée d'eau et légèrement acidulé, domestiqué à Gabès, se vend déjà, en énormes quantités, aux bords de la route qui mène à la ville. Pourquoi alors cette chaleur accablante ? Qu'est-ce qui doit encore mûrir si ce ne sont pas les fruits de la révolution du 14 janvier 2011? Car, les habitants du gouvernorat de Gabès, comme tant d'autres dans le pays, ne sont pas au bout de leurs peines et ne sont nullement contents. La situation s'est envenimée à la fin du mois d'octobre dernier suite aux protestations contre les résultats du concours de recrutement organisé par le Groupe chimique tunisien (GCT). Des violences ont submergé le chef-lieu du gouvernorat, un couvre-feu a été décrété et la situation, encore aujourd'hui, est on ne peut plus délicate. Plus aucun doute, la région souffre de la pollution causée par les usines du GCT. Nous croyons savoir que cette pollution touchant l'air, la mer et le sol est à l'origine de plusieurs maladies. Mais tous les écrits à ce sujet demeurent lettre morte. Pourtant, il suffit d'être sur place pour se rendre compte à quel point la pollution est en train de gagner du terrain. Le phosphogypse se voit à l'œil nu sur les rivages. Une odeur nauséabonde surplombe la ville de Gabès. On y dort mal et l'on se réveille fatigué et sans énergie. Sur la route menant au groupe chimique, les palmiers gigantesques sont jaunis. Leurs coiffes qui balancent dans le vent semblent crier au secours à qui veut les entendre. Qu'adviendra-t-il de cette si belle région d'oasis et de mer et à l'enchantement, malgré tout, permanent ? Les Gabésiens, en tout cas, ne baissent pas les bras. La société civile ne craint pas de jouer à Sisyphe. Elle propose sans cesse des solutions à tous les problèmes sociaux, économiques, culturels et environnementaux. Bien que l'atmosphère soit un peu tendue, les intellectuels et les militants de Gabès continuent à vouloir «ouvrir la grenade», une expression qui veut dire en sens figuré en tunisien : «crever l'abcès». Mais des obstacles à cette liberté de la parole retrouvée s'érigent de nouveau et d'une manière plus flagrante qu'à l'époque du dictateur déchu. Des artistes tagueurs viennent d'être accusés de délits passibles de prison. Ces jeunes faisant partie d'un groupe appelé «Zwewla» (misérables) n'ont fait que s'exprimer en écrivant sur les murs à propos de la situation sociale de leurs compatriotes. Leur procès aura lieu le 5 décembre 2012. Voici quelques investigations sur la situation complexe de Gabès, «grenade entrouverte, cédant à l'excès de ses grains»(*). (*) Un vers extrait d'un poème de Paul Valéry.