Malum punicum est le nom donné par certains auteurs latins à la grenade, celle-ci est le fruit du punica arbos, c'est-à-dire l'arbre punique. Originaire d'Iran, du Kurdistan et d'Afghanistan, le grenadier a été acclimaté par les Phéniciens dans les pays méditerranéens, d'où cette confusion sur les origines, longtemps entretenue. Quant à nous, peut-être par ingratitude — étant les héritiers directs de la civilisation punique —, nous n'avons pas hésité à attribuer au grenadier une appellation d'origine lointaine, que nous partageons avec les hébreux : român, au singulier rommâna. Mais la fleur qui donne le fruit a conservé, chez nous, une mystérieuse connotation persane : joulennâr (ou jelénnâr). Le fruit du grenadier est automnal. Mûri à la fin septembre, il devient exquis en octobre. La rommâna, avec sa forme, ses dimensions et surtout sa fermeté, a inspiré une certaine littérature populaire verte et sensuelle, mais fine et pleine de subtilité; elle fait l'éloge de la poitrine des jeunes filles en la comparant à deux grenades précoces. Chez d'autres peuples, une grenade ouverte ressemble à un trésor de rubis, ses grains d'un rouge sombre‑— nous disons rommâni —, couleur que nous attribuons à un tas d'objets, paraissent de loin comme des pierres précieuses. Les grains de la grenade plus ou moins acides, quand le fruit n'est pas bien mûr, deviennent particulièrement doux, avec un arrière-goût légèrement acidulé à complète maturité. Pour les obtenir, il faut se munir de patience et de dextérité : précieux, ils sont bien protégés à l'intérieur du fruit. Il faut d'abord inciser la peau de la grenade en quatre parties, l'ouvrir délicatement et taper la pulpe pour faire sortir les grains. Bien lavés et saupoudrés de sucre ou arrosés d'eau de fleur d'oranger (z'har), ils sont ou bien croqués tels quels comme le font les puristes ou bien accommodés avec d'autres mets, parmi les plus sollicités en automne. Dans les campagnes et les villages, le rommân relève le goût des bouillies crues aromatisées (zammîta), selon la variante dite m'rammla (sablée). Avec l'huile d'olive, les grains de grenade la rendent apéritive et plus rafraîchissante. Les bonnes ménagères, elles, préfèrent associer les grains-rubis à un couscous doux (mesfouf); ils lui procurent une belle couleur bien alléchante et un goût d'acidité bien apprécié. On en fait aussi une confiture que nos agros n'ont pas pu imiter jusqu'à maintenant. Sa couleur rouge sombre — nous aimons dire souaki (couleur du swâk) — et son parfum en font un élixir tout singulier. Bien sûr, nous en faisons un sirop épais, la grenadine de nos mères, un breuvage velouté et désaltérant qui tranche avec la variante hybride que nous trouvons dans les grandes surfaces. Nos variétés de grenades sont nombreuses, nous avons les précoces (badri) dont la saison se termine actuellement, nous les nommons zahri dans le double sens de «fleuries» à cause de la couleur de leur peau, et «porteuses de chance» parce qu'elles sont de primeur. Puis viennent les khalladi, des grenades bien belles qui portent le nom de ce beau petit village du Cap Bon, Béni Khalled. Puis encore les tastouri, de Testour, la Grenade du Maghreb, cette ville-région en plein cœur de la Tunisie du Nord a prêté son nom, un véritable label pour beaucoup de fruits, grenades, coings, abricots et autres. Nous avons aussi les karoui (de Kairouan) dont la saveur est d'une grande délicatesse. Et, enfin, les gabsi (de Gabès), cette oasis maritime qui se targue de gratifier les consommateurs de Tunisie et d'ailleurs des meilleures grenades que produit notre pays. Ce sont de gros fruits, lourds et volumineux, leur peau est en double couleur jaunâtre sur une face et rouge sur l'autre. Leurs grains sont foncés, presque noirâtres. Ce sont ces grenades qui ont, peut-être, donné à toutes les grenades du monde ancien le nom de «pomme de Carthage».