Par Hamma HANACHI On n'évoquera pas les images des JCC, leurs lots de bons et de moins bons films, elles ont été suffisamment critiquées. On ne relèvera pas les insuffisances inexcusables de l'organisation qui ont été copieusement relayées. Saluons malgré tout le public, l'âme du festival, toujours curieux de nouveautés, encore assoiffé d'images et de mirage. La fête eut lieu, la ville s'est transformée en lieu de rencontres et de plaisir. Mercredi 21.Une visite-surprise de Josef Koudelka au Centre national d'Art Vivant de Tunis. Star de renommée mondiale, il a sillonné 19 pays du pourtour méditerranéen pour des reportages sur les sites archéologiques avant de rencontrer son public. Un travail titanesque, une somme de photos qui fera l'objet d'une grande exposition Vestiges 1991/2012, à la Vieille Charité, dans le cadre de Marseille-Provence, Capitale européenne de la Culture en 2013. Salle pleine, public jeune, de vrais amateurs, attentif, preuve que la photo prend de la hauteur et de l'importance. De nos jours, tout le monde veut témoigner, beaucoup d'appareils photo et l'attente d'une légende: Koudelka que beaucoup connaissent à travers ses fameux clichés de Prague, de Beyrouth ou d'ailleurs. En tenue de reporter, leste, cheveux blancs et barbichette, silhouette fine, le jeune fringant de 74 ans déboule en sautillant. Il n'a pas d'appareil photo. Et se présente, voix haute, claire et un français approximatif : «Pourtant je suis Chevalier, Officier et Commandeur des Arts et des Lettres en France». Koudelka est né derrière le rideau de fer, Pragois de naissance, il s'intéresse très tôt à la photographie, fréquente régulièrement les théâtres, esprit bohème, il voyage, fréquente les gens du voyage et découvre son pays, il photographie et publie. D'autres étapes suivent; pour lui, témoigner devient un but, à Prague, la contestation est en train de naître, elle prend de l'ampleur, il la fixe sur ses photos, ça traverse le champ politique, après le reportage sur les Gitans, Koudelka s'implique dans les questions contemporaines, en fond de toile, on décèle un engagement dans la réalité sociale. Ses images reflètent la question de l'être, un regard d'une admirable sobriété. Koudelka se confond avec une génération porteuse d'une démarche, une réflexion : le primat de l'engagement. Manifestement, dans ses photos, iI y a l'élan de l'artiste qui cherche à connecter sa réflexion avec son travail, plus qu'une démarche, c'est un destin tracé. Koudelka, c'est une rencontre entre une fulgurance, un sujet et un artiste. Trois séries de clichés assez connus au programme : Invasion, Gitans et Chaos. Invasion : retour sur le passé, noir et blanc, l'invasion de Prague par les troupes du Pacte de Varsovie. Des jeunes accrochés aux branches des lampadaires, des manifestants devant les chars, des gestes, des attitudes, des places larges, les pavées, la foule en action, des révoltés en mouvements, des visages, des regards de feu, des bouches ouvertes, dentition parfaite d'une jeune blonde, il n' y a pas de silence, pas de temps pour la réflexion métaphysique, ça sera plus tard, ça bouge de partout, le peuple est en éveil, l'histoire en marche. Les clichés en face, on est plongé dedans, un char qui arrive, très gros plan, on cherche, à quel endroit se trouvait le reporter ? Par terre, à quelques mètres des chars? Qu'importe, il est là où il faut et se fond dans le sujet. Le Printemps de Prague, c'est à la fois loin et proche Gitans : Koudelka connaît les gens du voyage, il est né en Moravie, a découvert ce peuple en Ukraine, musicien amateur, il connaît leurs chants et rythmes. Ses Gitans à lui sont vrais, vivants, pauvres hères, fiers dresseurs de chevaux, en route dans une caravane ou dansant dans une scène de fête. Ici, il n' ya a guère de coup de dé ni de hasard, les gens approchés sont aimés, leurs poses sont réfléchies, les photos composées et maîtrisées. Les Gitans sont bohêmes chaleureux, musiciens tristes, chanteurs languissants, groupe endeuillé ou en fête, ils sont apparemment heureux de se trouver devant l'objectif d'un ami, un proche. Cette série emblématique appelée Koudelka Gitans a paru en livre qui a rencontré un retentissant succès. Chaos : le photographe est désormais mondialement connu, hommages, livres et expositions lui sont consacrés, les temps héroïques de Prague sont loin, une pliure dans l'histoire, les Gitans laissent place au Chaos. Un ensemble composé avec soin, des constructions singulières, en hauteur, des bouts de champs déclinés en lignes obliques, des paysages captés de manière allusive, à la limite de l'abstraction, le monde a changé, les sujets aussi. Moins de personnages, moins d'objets intimes, mais le regard de Koudelka reste constant, sans concession, sa rage de découverte ne s'est pas altérée avec le temps. Trois séries, trois univers : une méditation sur le temps qui passe.