De notre envoyé spécial à Doha Chokri BEN NESSIR La Presse—Un homme, portant le costume traditionnel qatari thoub, ajustant le ghahfeyah (bonnet en crochet) au-dessus de la gutrah (le voile blanc) qu'il arrive à maintenir en place en serrant un peu le aagual (cordon noir doublé) et dont les pieds sont plombés par chaîne attachée à un boulet noir sur lequel on peut lire : volonté politique arabe, avance d'un pas saccadé. Ce personnage qui se donne en spectacle devant la salle de plénière où se déroulent les travaux du segment de haut niveau de la XVIIIè conférence des Nations unies sur les changements climatiques, symbolise la mollesse des dirigeants arabes face aux impacts des changements climatiques. Certes, au même moment où cette conférence se tient et continue de voir défiler princes, présidents, premiers ministres et bien d'autres dignitaires politiques, les regards sont rivés sur les Philippines, où le super typhon Bopha s'abat sur le pays. Déjà, le pays qui compte ses morts par centaines craint de voir les impacts de ce 16e événement météorologique extrême, pousser des milliers de philippins à fuir leurs habitations, a révélé un délégué des Philippines. Il n'empêche, ce sont surtout les pays arabes et de l'Afrique du Nord qui seront fortement exposés aux impacts des changements climatiques selon un nouveau rapport de la Banque mondiale qui analyse les dommages présents et à venir causés par l'évolution rapide du climat dans la région et qui appelle les autorités à «préparer les pays et les populations à faire face à la menace». C'est d'ailleurs à cet effet que Ali Fakhri de l'ONG arabe AndyAct a déclaré à La Presse que «le succès de la conférence dépend largement du degré d'engagement des chefs d'états arabes dans un processus de réduction des gaz à effets de serre». Effets marquants Pour sa part, la vice-présidente de la Banque mondiale, Rachel Kyte, a souligné dans une conférence de lancement du rapport en présence de la ministre de l'Environnement Madame Mamia El Banna, que «les effets des changements climatiques seront particulièrement marqués dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena). Il faut agir sans tarder pour éviter que ne se concrétisent les conséquences annoncées, à savoir une augmentation des pénuries d'eau et de l'insécurité alimentaire». Intitulé Adaptation à l'évolution du climat dans les pays arabes, le rapport propose une évaluation complète de la menace que la gravité croissante des phénomènes météorologiques fait peser sur la région et propose diverses mesures de politique publique pour faire face sans plus tarder aux effets actuels et renforcer la résilience aux répercussions futures, a ajouté Rachel Kyte, vice-présidente de la Banque mondiale chargée du développement durable. «Cette région possède une longue histoire et une grande tradition d'adaptation aux changements climatiques et aux problèmes qu'ils entraînent, comme les variations de température et de précipitations. De nouveaux risques apparaissent néanmoins à un rythme beaucoup plus soutenu, avec notamment la perspective d'une hausse de 4 °C de la température mondiale, de sorte que la résilience bâtie au fil des années est mise à rude épreuve.» a -t-elle souligné. Catastrophes climatiques Selon ce rapport, au cours des 30 dernières années, «les catastrophes climatiques ont touché 50 millions de personnes dans le monde arabe, représentant un coût direct d'environ 12 milliards de dollars et un coût indirect bien plus élevé encore. Les tendances récentes laissent à penser que l'aridité des régions arides s'accentue, de même que la fréquence des inondations soudaines ». En 2006, l'inondation du bassin du Nil a fait 600 morts et touché 118 000 personnes. Jusqu'en 2008, le bassin du Jourdain a connu, quant à lui, un record de sécheresse, qui a duré cinq années consécutives. Au grand dam des négociateurs arabes, «l'ambition est toujours absente de la table des négociations à Doha. La conclusion des débats sur pertes et dommages ne contient pas d'accord sur le mécanisme qui est pourtant nécessaire pour répondre à de plus grands défis » a souligné dans ce cadre l'ambassadeur Ronny Jumas du groupe des petits Etats insulaires, Oasis, lors d'une rencontre avec les médias. Malgré, donc, le désarroi des uns et les inquiétudes des autres, les négociations continuent à patiner à Doha et la plupart des pays développés venus avec l'envie d'avancer sur la nouvelle voie de négociation, ont buté sur des questions clés dernièrement abordées au sein des négociations et qui ne peuvent être laissées irrésolues. Car, bien que les décisions adoptées lors de la Conférence de Durban aient mis en lumière une situation d'urgence, les négociateurs n'arrivent pas encore à s'entendre sur un accord sur des objectifs clairs et ambitieux dans un cadre juridique à mettre en œuvre sur une base provisoire ainsi que de convenir sur un calendrier de financement échelonné de 2013 à 2020. Pourtant, de tels flux financiers et technologiques, nécessaires, surtout en cette période, pour soutenir les pays en développement, dans leurs efforts à s'adapter aux changements climatiques et à limiter leurs émissions, ne sont pas disponibles. D'ailleurs, plus que tout autre, cet aspect financier a constitué un test du degré de la volonté et de l'engagement collectif à lutter contre la dérive climatique à Doha.