De notre envoyée spéciale en Inde Narjès TORCHANI Tous ces films offrent au public une autre vision du cinéma et du monde, différente de celle proposée par la production locale, qu'elle soit commerciale ou indépendante. Mais il est difficile de détourner le regard des Kéraliens de leur cinéma. Dans la ville de Thiruvananthapuram, au nord-ouest de l'Inde, se tient depuis 17 éditions le festival international du film du Kérala, l'Etat dont la ville est la capitale. Cette année, c'est du 7 au 14 décembre que ce festival a lieu, célébrant un siècle de cinéma local, le Malayalam cinéma, mais aussi le cinéma mondial, depuis sa création. La compétition est destinée aux films d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, mais le programme est enrichi par une section «Cinéma du monde» où sont proposés des films d'horizons très divers, dont certains ont fait le tour de festivals de renom, tels «Amour» de Michael Haneke, Palme d'or de Cannes 2012 et «Holy Motors» de Léos Carax qui est passé par le même festival. On y trouve également un bon nombre de films arabes, dont «Et maintenant on va où» de Nadine Labaki (Liban), «Après la bataille» de Yousri Nasrallah (Egypte) et «Les chevaux de Dieu» de Nabil Ayouch (Maroc). La culture de l'autosatisfaction Tous ces films offrent au public une autre vision du cinéma et du monde, différente de celle proposée par la production locale, qu'elle soit commerciale ou indépendante. Mais il est difficile de détourner le regard des Kéraliens de leur cinéma. Ces derniers vouent un culte inégalable à leurs films ainsi qu'à leurs stars et éprouvent la nécessité de s'identifier et de se reconnaître dans l'histoire et ses protagonistes. Les films obéissent généralement à une même structure et aux mêmes codes, à propos d'une aventure couronnée d'une fin heureuse, avec un propos assez moralisateur. Le cinéma est donc avant tout une question culturelle. On s'en rend compte rien qu'à voir les grandes salles qui s'érigent en temples du 7e art, entourées d'une verdure qui porte le signe du climat tropical de la ville, les longues queues devant les guichets et l'engouement des spectateurs devant le grand écran, tels des enfants. La projection est un spectacle en lui-même, rythmée par les applaudissements du public sur les blagues dans le film, ou leurs sifflements quand un personnage commet une mauvaise action. Ce peuple a une histoire avec le cinéma, une histoire de longue date. C'est un peuple qui a créé sa propre notion du 7e art, parfois tellement différente de ce qui se fait ailleurs que toute comparaison pourrait paraître futile. L'Inde est le pays de l'autosatisfaction par excellence et le cinéma n'y échappe pas. Nous y reviendrons. Une fenêtre sur le cinéma mondial Il n'empêche que dans les 11 salles à disposition du festival et grâce à une programmation variée, les films étrangers trouvent un large public, dans une ville de près de deux millions d'habitants (l'Etat du Kérala en compte près de 30 millions), d'une nature très accueillante, caractérisée par un taux d'alphabétisation supérieur à la moyenne nationale. Ce programme témoigne de l'effort et de l'ouverture dont fait preuve l'équipe du festival, présidé par S. Priyadarshan et dont la direction artistique est assurée par Bina Paul Venugopal. Pour la cérémonie d'ouverture, la directrice artistique a choisi d'attirer l'attention sur un héritage cinématographique commun en organisant un ciné-concert, sur le film muet «The ring» d'Alfred Hitchcock, réalisé en 1927, restauré par les Archives nationales britanniques, avec l'aide de plusieurs fonds mondiaux, et projeté pour la première fois. La musique a été composée par Soweto Kinch et interprétée en compagnie de sa troupe de jazz londonienne. Accueillie par un grand théâtre de plein air, sous un ciel crépusculaire sillonné par les corneilles, oiseaux emblématiques du Kérala, la cérémonie s'est déroulée devant un public de 7.000 personnes. Le lendemain, ont démarré les projections de la compétition officielle internationale composée de 14 films dont quatre indiens, deux mexicains, deux algériens et un iranien et celle de la section locale, le Malayalam cinéma, qui comporte sept films. S'ajoutent à ces deux catégories différents programmes parallèles, concernant le cinéma du monde, le cinéma indien d'aujourd'hui, un focus sur le cinéma du Vietnam et du Sri Lanka, deux séries de projections à thème, autour des films français sur l'adolescence et du cinéma indigène d'Australie. Le président du jury de la compétition internationale vient de ce pays. Il s'agit du grand réalisateur Paul Cox. Une rétrospective de son œuvre est prévue au programme. Il en est de même pour le cinéaste français Alain Resnais, la cinéaste brésilienne Helena Ignes, le Japonais Akira Kurosawa, le Burkinabé S. Pierre Yaméogo, et l'acteur indien Sathyan (1912-1971). Pour boucler la boucle de cette programmation, un hommage est rendu, par la projection d'un film, à des réalisateurs indiens et internationaux, dont Chris Marker, décédé en juillet 2012. Tout cet effort déployé pour ramener le monde, à travers son cinéma, en Inde est dans le même temps un effort pour intégrer les films indiens dans le circuit des festivals internationaux, en organisant des manifestations à l'échelle nationale, telles que le Film Bazaar, marché international du film indien (20-30 novembre 2012 à Goa), mais aussi des manifestations régionales, telles que le festival international du film de Kérala, où le cinéma local reste omniprésent. Cette stratégie est mise en place par l'académie Chalachitra du Kérala, l'équivalent d'un centre national de la cinématographie, qui organise également un festival international du court-métrage et du documentaire, ainsi qu'un festival national et collabore avec des festivals internationaux de par le monde. Dans cet Etat, au climat tropical et à l'accueil plus que chaleureux, pas étonnant donc qu'il y ait un seul ministère pour le Cinéma, les Forêts et les Sports !