Par Abderrazak BEN AMMAR(*) Aujourd'hui, l'heure est au rassemblement. Oui, le salut de la nation ne peut se réaliser que par une coalition très large, aussi large qu'elle regroupe toutes les forces démocratiques : tous les partis politiques, toutes les composantes de la société civile et les militants indépendants. Bref, tous les actants ayant pour dénominateur commun le rejet de l'Etat théocratique qui ne peut finir que dans la dictature. Donc opter pour la seule alternative valable et commode à la Tunisie, à savoir un Etat civil. Sinon la tendance au despotisme qui s'affirme de jour en jour par la destructuration des institutions républicaines sévira, et ce, malgré les assurances énoncées par les responsables de la fameuse Troïka et surtout d'Ennahdha toujours avec un double discours sournois qui se veut apaisant quant à la transition démocratique. Mais c'est un leurre. On peut aisément comprendre ses véritables intentions de ne plus lâcher le pouvoir en livrant des batailles acharnées contre tous ceux qui ne se rangent pas de son côté. La dernière attaque sauvage dont l'Ugtt a été la cible illustre son projet diabolique et devant lequel le gouvernement garde un silence complice, même s'il a manifesté parfois quelques réticences à certains autres égards. D'ailleurs, cette attitude augure d'une scission au sein du parti islamique manifestement tiraillé entre les modérés et l'aile dure qui demeure hégémonique et œuvre pour la mainmise sur les instances de l'Etat, et ce, par l'embrigadement d'une frange sociale nourrie de haine et de ressentiment à l'encontre des «séculiers hérétiques». Il est évident qu'Ennahdha gagne de l'espace par l'instrumentalisation de la religion, ce qui lui a permis d'avoir illégalement à sa solde des ligues acharnées et facilement manipulables contre des partis d'opposition, contre les académiciens, contre les artistes et contre des personnalités nationales indépendantes. Une véritable opération de ratissage du Différent, de l'Autre est en train de se produire actuellement en Tunisie et dont on doit évaluer le danger. Une réelle stratégie antidémocratique et totalitaire qui s'insère dans le cadre d'une Internationale islamiste soutenue par un Occident désintéressé de la démocratie dans le monde arabe, mais soucieux d'engager une nouvelle hégémonie, à l'instar de celle des accords de Yalta, mais cette fois-ci pour mettre sous sa tutelle le reste des pays musulmans après avoir réussi à assouvir sa cupidité avec les pays du Golfe, mais aussi en s'assurant de la volonté des nouveaux gouvernants du Printemps arabe de collaborer et en contrepartie, ils ont le soutien surtout de la part des Etats-Unis, fervents défenseurs de l'«islamisme modéré». Il est évident dans tout cela qu'Ennahdha ne semble préoccupée que par le pouvoir. L'opposition, tous azimuts, celle qui s'attache vraiment aux principes républicains, à la démocratie et aux libertés publiques et individuelles, devra être consciente de l'enjeu. La tâche n'est pas évidente et appelle toutes les forces nationales antithéocratiques à la fédération. L'idéologique doit céder la place à un pragmatisme efficace qui ne peut se réaliser que par la formation urgente d'un Front populaire élargi qui regroupera, outre les partis radicaux de gauche et socialistes, également ceux du centre et de la droite démocratique. Nous aurons, alors, un éventail très large de partis allant de Nida Tounès jusqu'au Front populaire. Rappelons-nous ce qui s'est passé en France en 1936. C'est grâce au rassemblement élargi par le Komintern à la social-démocratie, et par Maurice Thorez au Parti radical, que la France a pu, dans un moment historique délicat, barrer la route au fascisme par la victoire du Front populaire en mai 1936. C'est ainsi qu'elle a évité le sort qu'a connu l'Allemagne le 30 janvier 1933 ou le Komintern, sous la domination de Staline, qui défendait alors la politique de «classe contre classe» et du refus catégorique des partis communistes de s'allier avec la social-démocratie considérée comme l'agent de la bourgeoisie capitaliste. Donc, cette obstination idéologique a affaibli l'opposition anti-nazie et facilité la victoire de Hitler. Aux leaders des partis de la gauche radicale en Tunisie de tirer la leçon et d'assumer leurs responsabilités aux prochaines échéances électorales. Cette option est incontournable pour reprendre la Tunisie des mains des fossoyeurs de la République, des libertés et de l'indépendance de la patrie. Oui la dictature théocratique est là. Elle frappe et mobilise ses milices fanatiques pour punir la gauche mécréante, pour conquérir les mosquées et en faire une tribune où l'on prêche à tous les discours de violence et de discorde entre les Tunisiens et où se préparent les ruées vers les locaux des partis politiques et des composantes de la société civile. On n'attend pas que la dictature soit institutionnalisée pour s'en rendre compte et réagir. *(Professeur d'enseignement secondaire retraité)