Plus de deux mille arrestations opérées dans le milieu, rien qu'au cours des neuf premiers mois de cette année La prostitution «s'embourgeoise» de plus en plus Nouvelle menace en l'air pour le métier : l'islamisation du pays Décidément, le plus vieux métier du monde a la peau dure. Alors que des métiers ont «trépassé» et d'autres sont en voie de l'être, la prostitution a pu résister aux épreuves du temps et aux multiples mutations qu'a connues l'humanité tout au long des derniers siècles. Et cela en conservant intact ce formidable «impact magnétique» qu'elle a toujours su exercer aussi bien sur les mâles que sur les femelles, sur les pauvres comme sur les riches, sur les illettrés comme sur les intellos. Dotée d'un pouvoir si tentateur, si ravageur, la prostitution est devenue, de nos jours, une véritable industrie aussi prospère que la mafia et le trafic de drogue, avec des réseaux fortement structurés et aux ramifications touchant pratiquement les quatre coins de la terre. L'Europe, incontestablement le continent le plus touché par ce phénomène depuis l'éclatement du bloc de l'Est, n'arrive plus à s'en sortir. L'heure y est même à la fatalité, quand on sait que, selon des statistiques établies l'année dernière, le nombre des affaires de mœurs a presque doublé, passant de 25.618 en 2010 à 48.129 en 2011, alors que d'autres estimations, toujours dans le vieux continent, indiquent que le chiffre d'affaires annuel du «trafic de la chair humaine» avoisine les cinq milliards d'euros. Hallucinant ! Mais, qu'en est-il de la Tunisie ? D'emblée, touchons du bois, car on est — heureusement — loin du compte. Le jour et la nuit, quoi ! Soit. Mais, gare au triomphalisme et...aux risques de contamination, d'autant plus que ce phénomène continue de sévir dans nos murs. Il pourrait même atteindre à l'avenir des proportions dramatiques si on ne venait pas à en contrecarrer la poussée. Prostitution «beldi»... Selon nos historiens, la prostitution sévissait en Tunisie depuis la nuit des temps, mais sans jamais déborder de son cercle intime. Et c'est à l'époque coloniale qu'elle connaissait son premier «essor», sous la forme de la construction des premiers bordels étatiques dont le nombre allait crescendo au fil des années pour toucher toutes les régions du pays, ou presque. Parallèlement à ces «sex shops» avalisés par l'Etat, se développait «la prostitution beldi» ardemment «épousée» par ces «dévoreuses d'hommes» qui, pour satisfaire leur désir sexuel, usaient de stratagèmes diaboliques, sous le couvert de la discrétion. Khédija B., 70 ans, s'en remémore encore. «A l'époque, raconte-t-elle, le sefsari était le fer de lance des prostituées qui l'utilisaient souvent dans leur chasse au mâle. Une chasse qu'elles affectionnaient intelligemment au sortir du bain maure, dans le marché, dans les stations de bus et du tramway, voire chez le ‘‘attar'' du coin». Et d'ajouter, encore plus émue et nostalgique : «La prostitution du bon vieux temps était certes un tabou dans notre société, voire un crime pour les familles conservatrices, mais jamais, au grand jamais, un phénomène ou un fléau. Au point que les affaires de mœurs se comptaient, à l'époque, sur les doigts d'une seule main». Notre interlocutrice qui jure, soit dit en passant, qu'elle n'a jamais «essayé», révèle, par ailleurs, que «des ressortissantes étrangères basées en Tunisie avaient largement contribué, dans les années 50-60, au développement de la prostitution. Et ce n'est pas un hasard si plusieurs de leurs disciples ont chèrement payé le prix de leur naïveté, en finissant leur vie dans les bordels, après avoir été chassées par leurs familles». Crime...de lèse-majesté ? Certainement. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, les prostituées professionnelles exerçant dans les bordels étaient respectées, selon «Tata Khédija» qui impute cela «aux conditions de vie difficiles de l'époque, au chômage et à l'exode rural». Hit-parade des célébrités A l'époque aussi, soutiennent les nostalgiques, des prostituées de renom avaient défrayé la chronique par la succession de leurs «exploits et prouesses» ! Bien évidemment, il serait sans doute humiliant et inélégant de citer des noms, mais il est établi qu'elles faisaient se retourner les têtes, qu'elles avaient une extraordinaire capacité de faire tomber les hommes et qu'elles avaient amassé des fortunes. Certaines d'entre elles ont même poussé le culot au point d'aller monnayer leur talent en Europe, particulièrement en France et en Italie, où, après avoir longtemps fait le trottoir, elles ont regagné le bercail, avec, à la clé, un joli pactole. De quoi refaire leur vie et, peut-être, s'assagir ! En revanche, d'autres ont connu des fortunes diverses en Europe, soit en se retrouvant derrière les barreaux, soit en se faisant assassiner dans le cadre de règlements de comptes entre gangs et réseaux rivaux, soit encore en rentrant dans le pays pour monter leurs propres «clubs de rendez-vous». A l'époque aussi, des «célébrités» parmi nos prostituées étaient connues pour leurs idylles avec des personnalités de renom, notamment dans les milieux policier et des affaires. Profession : proxénète Le plus vieux métier du monde ne profite pas seulement à ses adeptes (prostituées-clients) mais aussi à une tierce partie, à savoir les proxénètes. Une race représentée par des bandits et autres repris de justice qui ont fait des réseaux de prostituées leur gagne-pain. La carrure généralement impressionnante, les propos vulgaires et arrogants, le proxénète «s'amuse» à imposer ses ordres à celle qu'il fait travailler. La part des recettes, c'est lui qui en décide, et à l'ânesse de s'exécuter. Les...brebis galeuses, elles en auront pour leur compte, par engueulades et violence physique interposées, si ce ne sont pas des menaces de mort. Et il n'est pas rare de voir «le berger allemand» sortir sa rage venimeuse, en éliminant férocement sa victime désobéissante. Tel est le cas de cette prostituée que son «bodygard» égorgea un jour à Hammam-Lif, pour l'avoir trompé. Tel est aussi le cas d'une prostituée retrouvée étranglée dans une maison de La Goulette où elle a été séquestrée par son patron pendant cinq jours. Et les exemples abondent qui traduisent les souffrances et les atrocités que subissent toutes celles qui choisissent ce sale boulot. La prostitution «in» Aujourd'hui, les temps ont changé, le phénomène étant devenu plus envahissant et sophistiqué. Et cela avec l'émergence de ce qu'on appelle «la prostitution in». En effet, de nos jours, les quartiers populaires, jusqu'ici épine dorsale de la prostitution, l'ont cédé aux cités huppées, devenues le terrain de prédilection de celles qui veulent monnayer leurs charmes. C'est justement là où on peut aisément dénicher la clientèle de luxe au sortir d'une pizzeria, ou en s'accoudant sur une belle voiture. Il est vrai que ces cités résidentielles sont devenues le pôle d'attraction privilégié des bons payeurs parmi les coureurs de jupons et de jeans serrés. Et c'est pourquoi le nombre des descentes policières effectuées récemment dans les cités Ennasr et Al Manar ne cesse d'augmenter, avec, au compteur du ministère de l'Intérieur, des centaines d'arrestations dans ces deux cités (voir bilan ci-joint), sans compter le démantèlement de plusieurs réseaux parmi la clientèle qui comptait des étrangers dont on préfère taire les nationalités. La prostitution «in» qui a décidément le bras long s'est aussi brillamment «embourgeoisée» en allant... faire main basse sur plusieurs restaurants et hôtels chics. Là où la clientèle de marque, assidue et généreuse, est facilement prenable au terme d'un apéro, ou au bout d'un dîner bien arrosé. La prostitution «in», c'est aussi ces tenues osées et signées, exhibées par ces nouvelles prostituées aux coudées franches, aux recettes fabuleuses et qui n'hésitent pas à accompagner un client de luxe pour un week-end à Paris, si ce n'est pas une évasion de quelques jours en Espagne, ou sur les côtes de Miami qui font rêver. Attention danger... slamiste Or, depuis la révolution du 14 janvier 2011, revers de la médaille pour le «métier» qui a, depuis, beaucoup perdu de sa verve et de son aura. Et cela pour au moins deux raisons, à savoir : – Primo : l'insécurité qui règne dans le pays, avec la montée galopante des actes de braquage perpétrés de jour comme de nuit, la circulation des armes et le développement alarmant de la criminalité. – Secundo : l'islamisation rampante du pays qui a, entre autres effets, favorisé l'émergence des salafistes dont cette race de jihadistes et de fanatiques prompts à investir un bar, à agresser les revendeurs de boissons alcoolisées et à brutaliser une péripatéticienne, et même une simple passagère au look jugé obscène! Dès lors, il serait indiscutablement stupide de croire que la prostitution n'en a pas souffert. Aujourd'hui, face à l'inconfort de ces menaces, une prostituée en herbe devra... tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de dire «oui à l'aventure» !