Par Amin BEN KHALED Nessma TV a invité, dans l'une de ses émissions dominicales à une heure de grande écoute le ministre de la Justice. Il faut dire que le timing d'une telle interview était très judicieux : l'affaire Sami Fehri, les salafistes qui sont morts suite à une grève de la faim sauvage, la question des ligues de protection de la révolution... Tant de dossiers qui ont monopolisé durant les dernières semaines les débats publics et privés. Ainsi, pour beaucoup de Tunisiens, l'interview du ministre de la Justice était l'occasion idéale pour approcher la machine judiciaire complexe, machine dont seuls les praticiens du droit connaissent les rouages intimes. L'interview était-elle réussie? Cette question en entraîne une autre : tout d'abord, qu'est-ce qu'une interview réussie? Une interview réussie n'est pas un match de boxe. Une interview réussie est celle qui arrive à amener la personne interviewée à dire le non-dit. Pour cela, il faut que les questions soient précises et fermées et non pas vagues et ouvertes. Je ne discute pas le talent et le professionnalisme des deux journalistes. Ils sont (parmi) les meilleurs. Je comprends aussi les conditions du direct (apparemment le ministre est venu en retard). Mais à la fin de l'interview, le spectateur tunisien est sorti avec au moins deux constats objectifs et indiscutables: 1/ le ministre de la Justice a un débit de parole très rapide, ce qui déconcentre les journalistes et surtout les spectateurs. 2/ le débat s'est transformé en une tribune par le biais de laquelle le ministre, en bon rhétoricien, a dit ce qu'il voulait dire. Ainsi, il fallait, peu-être, que les questions soient plus ciblées. Personnellement, je pense qu'il y avait au moins dix questions que le citoyen tunisien aurait voulu poser au ministre de la Justice, dimanche soir. Les voici : 1/ Au temps de Ben Ali, le ministère de la Justice s'appelait «ministère de la Justice et des droits de l'Homme». Pourquoi avoir déplacé le département des droits de l'Homme à un autre ministère? 2/ Comment se fait-il que deux ans après la révolution l'on soit toujours à appliquer des textes juridiques répressifs qui sont issus de l'ancien régime ? 3/ Si on parle de l'indépendance de la justice, comment se fait-il que le ministère de la Justice présume la culpabilité de M. Sami Fehri avant que la cour n'ait statué sur sa culpabilité? 4/ Toujours concernant l'affaire Sami Fehri, comment se fait-il que le ministère de la Justice interprète et discute le bien fondé de la décision de la cour de cassation, la plus haute juridiction de l'Etat au lieu de veiller à ce qu'elle soit appliquée? 5/ Qui supporte la responsabilité de la mort des deux détenus qui ont décidé de faire une grève de la faim et qui ont fini par y laisser la vie? 6/ Y a-t-il eu une expertise légiste des corps de ces deux détenus pour préciser les circonstances du décès? 7/ Des enquêteurs américains du F.B.I sont venus interroger des accusés tunisiens concernant l'attaque de l'ambassade américaine. Est-ce que cela ne pourrait pas constituer une ingérence dans la justice tunisienne? 8/ Quand une association est accusée d'avoir utilisé la violence, voire d'avoir assassiné un citoyen tunisien, le décret-loi n°88 réglementant les associations est-il toujours applicable? 9/ Il y a des prévenus qui sont en détention depuis plus de 14 mois, c'est-à-dire au delà des limites prévues par la loi (loi pourtant émanant de l'ancien régime), comment expliquez-vous celà? 10/ Est-ce que vous avez des nouvelles de M. Baghdadi Mahmoudi sachant que le gouvernement tunisien a déclaré après l'avoir livré qu'il va suivre de près son procès?