La politique frise le ridicule par moments sous nos cieux. Il y est souvent question d'annonces suivies de reports. Ce qui équivaut à faire du surplace. Deux questions majeures témoignent de cet état de fait navrant. En premier lieu, l'échéancier des étapes à venir en vue des élections législatives et présidentielles. D'autre part, le remaniement ministériel. Cela fait bien six mois qu'on en parle sans qu'on ne voie rien venir. Fin juin, M. Mustapha Ben Jaâfar annonçait l'échéancier pour la mi-juillet, à la veille des vacances parlementaires. Il n'en fut rien. Rebelote à la rentrée. L'échéancier est annoncé pour le 23 octobre, soit une année après les élections de l'Assemblée constituante. Là aussi, c'est le néant. Le remaniement traîne, lui aussi, dans d'interminables conciliabules. Il a traîné si longuement que les alliés en sont réduits à se chamailler. Place aux scissions, querelles et échanges de tirs à boulets rouges les uns sur les autres. Et l'on se chamaille si volontiers qu'on en arrive à oublier pourquoi on le fait. La feuille de route implique l'élaboration de la Constitution. Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi, préalablement, la promulgation d'un nouveau code électoral et la mise en place des instances supérieures et indépendantes de la magistrature, des élections et de l'audiovisuel. A ce niveau aussi, on se contente d'annonces. Pas plus tard qu'hier, le président de la République entamait un énième tour d'horizon en vue de la création de la haute instance de l'audiovisuel. De son côté, M. Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, a déclaré que le remaniement ministériel tant attendu pourrait être annoncé le 20 janvier. La feuille de route pour les échéances constitutionnelles et électives se fait de plus en plus précieuse. Et la stagnation n'en finit pas d'envenimer l'atmosphère. C'est dire aussi l'inconsistance affligeante de ceux qui tiennent le haut du pavé. Ils font montre pourtant d'un empressement particulièrement zélé dans l'adversité et les joutes acérées qui les opposent. A en croire que les chapelles exiguës importent davantage que la maison commune. Les gens sont désabusés. Il y a un décalage manifeste entre leurs états d'âme, leurs espérances et attentes, d'une part, les occupations et préoccupations des politiciens de l'autre. Cela se traduit par un scepticisme de plus en plus diffus et généralisé. Et les populistes surfent volontiers sur cet état d'esprit. Résumons : la Troïka est au pouvoir depuis bientôt quinze mois. Elle s'effrite à vue d'œil, scissions, désaffections et usure du pouvoir obligent. En revanche, le chômage massif persiste. Le pouvoir d'achat sombre et les prix des denrées alimentaires atteignent des seuils vertigineux. L'insécurité gagne du terrain, les violences multiples se propagent sur fond de trafic d'armes et de percée des groupuscules terroristes ou de grand banditisme. Le topo n'est guère reluisant. La classe moyenne périclite. Les couches populaires végètent au ras du sol. Les régions intérieures, berceau de la révolution, sont en effervescence. Le déséquilibre régional persistant fonde le sentiment d'exclusion et d'humiliation. Les gens y ont l'impression d'être voués à jamais dans l'infamant statut d'éternels laissés-pour-compte. Les coups de grisou se succèdent. La révolte gronde à Tataouine, Ben Guerdane, Gabès, Kerkennah, Siliana, Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine, Tozeur, Kébili. Dans les ceintures populeuses des grandes villes du littoral, on n'est guère mieux loti. On est logé à la même enseigne de l'infamie obligée. Deux années après la révolution, on a du mal à croire qu'on en est encore là. Malgré les promesses. L'ajournement des échéances politiques et constitutionnelles majeures en rajoute au marasme. N'en déplaise aux cercles gouvernants et à leurs séides. Ceux-ci ne cessent de réitérer que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Aveuglés qu'ils sont par une espèce de syndrome des reports. Et on le sait depuis l'aube des temps : il n'est pire sourd que celui qui ne veut rien entendre.