Un référendum envisagé par les uns, repoussé par les autres Va-t-on vers un référendum pour l'adoption du projet de Constitution ? La majorité simple des 50% plus une voix est-elle compromise ? À fortiori celle des deux tiers, indispensable à l'adoption finale de la constitution ? En tout état de cause, au palais du Bardo, c'est l'heure des doutes. Avec ces disputes en live, ces séances interrompues, ce taux d'absentéisme insolent. Des déclarations données de-ci de-là trahissent une ambiance tendue à l'intérieur des commissions et un risque sérieux d'allongement de cette période transitoire si pesante pour tous. Il y a quelques jours, Samia Abbou, constituante CPR, annonçait que l'hypothèse d'un référendum n'est pas exclue, si les divergences persistent autour du régime politique, précisément autour des attributions du président de la République. Dans le même ordre d'idées, sur les trois plateformes du pouvoir, Bardo, la Kasbah, Carthage, le temps n'est pas au beau fixe. Les tractations n'aboutissent vraisemblablement pas. La coordination de la Troïka semble frappée de paralysie. Selon les informations recueillies, le parti majoritaire au pouvoir, Ennahdha, ne prend plus la peine de consulter ses coéquipiers pour procéder aux nominations des hauts commis de l'Etat, gouverneurs et autres... Cette torpeur dans les faits, accompagnée pourtant de cacophonie assourdissante, frappe les rouages de l'Etat et semble suspendre entre ciel et terre toute décision aussi utile soit-elle pour le pays. Le remaniement ministériel, tant de fois annoncé, n'a jamais vu le jour. Un dialogue national est mort-né. Et une constitution qui peine elle aussi à prendre forme. Tout cela confère à notre planète politique un aspect peu glorieux, de bricolage, cacophonie et amateurisme. Pour y voir plus clair, La Presse donne la parole à deux constituants qui se placent des deux côtés de la frontière du pouvoir. Mais cette frontière n'est pas toujours si étanche, nous allons voir pourquoi. Samia Abbou : «Jamais nous n'accepterons de faire subir au peuple tunisien la dictature du Parlement» Il faut savoir que le régime politique est essentiel et décisif pour la transition démocratique. Il faut savoir aussi qu'au sein de la commission du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif et des relations entre les deux pouvoirs dont je suis membre, deux projets sont élaborés ; un projet qui réunit tous les partis, CPR, Ettakatol, Joumhouri, Al Massar et les autres; nous avons rapproché nos visions et élaboré un seul rapport. Et, il y a le rapport d'Ennahdha. Ce parti continue à défendre sa vision d'un président sans attributions, quand bien même il serait élu au suffrage universel. Pire, ils ont réduit les prérogatives présidentielles. Par exemple, dans le système actuel, la politique étrangère est tracée par le président de la République. Le projet futur d'Ennahdha stipule que celle-ci relève d'un commun accord entre le chef du gouvernement et le président de la République. Ils veulent un président qui opère un contrôle de loin, disent-ils. Un président honorifique. Dans ce cas, quitte à recourir au référendum, nous ne céderons pas. La petite constitution stipule que faute des deux tiers, le référendum restera l'issue. Et dans ce cas, il faut que l'Isie, dès qu'elle est opérationnelle, envisage cette possibilité et s'y prépare, pour ne pas être prise au dépourvue et accuser des retards additionnels. En parallèle, nous essayerons de trouver un consensus, mais non pas aux dépens des vœux du peuple tunisien. Jamais nous n'accepterons de faire pareille concession et faire subir au peuple tunisien la dictature du parlement. Ce n'est pas un marchandage. Or dans la commission, le groupe des constituants Ennahdha refuse le lendemain ce qu'il avait accepté la veille. Pour ce qui est du remaniement, oui je pense qu'il y aura un remaniement ministériel mais je n'ai pas le droit de vous dire de quelle manière. A l'intérieur de la Troïka, ils savent tous quels sont les ministères qui ont échoué et connaissent les ministres qui ont de très faibles rendements. Samir Ettaïeb : «Nous sommes condamnés à nous mettre d'accord sur une constitution, c'est le défi de l'ANC» Il faut savoir que le premier groupe parlementaire, Ennahdha, et le deuxième qui est le groupe démocratique sont contre un référendum. Le référendum signifie l'échec de l'ANC. Après tout ce mal, tout ce que nous avons supporté, en arriver à cette extrémité ? On aurait pu dès le début alors élaborer une Constitution et la soumettre directement au peuple tunisien. Non, nous sommes condamnés à nous mettre d'accord sur une constitution, c'est le défi de l'ANC. Pour ce qui est du remaniement, je tiens à clarifier la position d'Al Massar quant au remaniement ministériel. Ce n'est pas une distribution de postes au quota partisan. Et ça ne sert à rien de faire du surplace. Ça me rappelle, d'ailleurs, les remaniements au temps de Ben Ali, cela occupait les gens mais n'avait aucun impact sérieux. Nous répétons que les ministères de souveraineté ne devraient pas être sous la coupe d'Ennahdha. Or visiblement, pour procéder à un remaniement en profondeur, le parti au pouvoir sollicite l'implication d'El Joumhouri et d'Al Massar. Nous répondons merci, nous ne sommes pas demandeurs. En revanche, nous voulons un dialogue pour finaliser une feuille de route à partir de nos propositions et celles de la Troïka. Il faut sortir urgemment avec un packaging de décisions susceptibles de rassurer les Tunisiens. Il faut que tout le monde comprenne que le succès sera pour tous, et dans le cas contraire l'échec sera aussi partagé par tous. Ainsi, et par médias interposés, partis politiques et leaders continuent à s'interpeller. Ils se rencontrent certainement derrière de hauts murs, mais leurs rencontres, à ce jour, sont restées stériles. Cette instabilité ambiante, ce provisoire qui dure, provoque chez une partie de la population tunisienne angoisse et une profonde déprime, visibles sur les visages dans la rue, pour peu qu'on prenne le temps de les regarder.