Il semble bien que la carte des alliances et des contre-alliances politiques fasse l'objet de sérieuses redistributions sous nos cieux. Aux dernières nouvelles, les rencontres les plus invraisemblables il y a peu sont envisageables, si elles n'ont pas déjà eu lieu. Hier encore démonisé à outrance par les partisans du mouvement Ennahdha, M. Néjib Chebbi est porté désormais aux nues par les plus hauts dirigeants du mouvement islamiste. Ils ne tarissent plus d'éloges à l'égard de son passé militant, de ses mérites patents et de son sens quasi inné de l'Etat, à les en croire. Pourtant, ceux-là mêmes l'accusaient il y a quelques mois d'être un collabo de l'ancien régime. N'empêche que le parti Al-Joumhouri ne se prononce toujours pas sur son positionnement définitif en vue des prochaines élections. Il souffle le chaud et le froid de part et d'autre. Propulsé aux devants de la scène, cajolé par tous, il temporise volontiers, en sachant qu'il est en position d'arbitre. L'avenir proche dira si c'est une vérité ou une impression. Côté Troïka gouvernante, c'est le bal des scissions. Ennahdha se rend compte que ses deux alliés ne font plus l'affaire. Ettakatol n'est plus que l'ombre de lui-même. Il est réduit à la portion congrue. Les défections et renoncements l'ont fragilisé. Son principal allié ne croit plus en lui. Il rumine ses rancœurs et broie du noir en silence. Idem du CPR. Le parti présidentiel a connu, lui aussi, de sérieux revers. Ses relations avec Ennahdha sont désormais en dents de scie. Les dents de la mer avant la traversée du désert. Alors Ennahdha cherche des alliés ailleurs. Mais la scène politique est réduite comme peau de chagrin, provinciale, prosaïque. Les premiers choix et de première main y sont rares. Plutôt des reprises et de la fripe moyen de gamme. Sans compter les clivages qui traversent le mouvement Ennahdha proprement dit. Ne nous y trompons pas. Tout ce beau monde s'est retrouvé par accident aux commandes. Aucun d'entre eux n'a fait la révolution. Ils ne jouissent ni de la légitimité historique ni, a fortiori, de quelque légitimité rationnelle ou charismatique. Ils meublent un petit village qui s'appelle la scène politique. Un village sans commune mesure avec les significations, la symbolique et les valeurs de la révolution tunisienne. Une révolution dont les principaux acteurs et ténors sont les citoyens anonymes. Ceux-là mêmes qui supportent les caprices et les dérives d'une classe politique en gestation. Le proverbe ancestral instruit que l'impasse stoppe le fuyard (wi9fit ezzan9a lilharib). L'impasse politique révèle l'inconsistance manifeste de notre classe politique. Aujourd'hui, les représentants de notre establishment politique en sont réduits à recomposer l'architecture de sommes nulles. Le constat est amer mais il faut appeler les choses par leur nom. Lorsqu'on s'avise de déchiffrer la vraie portée des enjeux, on se rend compte qu'il s'agit de partage de privilèges et de dignités. Rien de plus. Ce qui se trame est une espèce de réédition, un remake avec une impression de déjà vu. Seule donne fondamentale, le probable rapprochement entre le mouvement Ennahdha et le mouvement Nida Tounès. Deux opposés avec des choix antagoniques à première vue, les deux formations s'attachant à promouvoir un projet de société aux antipodes l'un de l'autre. Les déclarations de Rached Ghannouchi et de Lazhar Akremi à ce propos promettent des ouvertures significatives. A un certain moment, les confrontations entre les séides des deux partis ont fait couler le sang. Nida Tounès a même saisi la Cour pénale internationale à ce propos. Une possible accalmie pourrait apaiser les esprits et ramener l'espoir aux Tunisiens. Ces Tunisiens déçus par la politique, pressurés par les hausses vertigineuses des prix, traumatisés par l'insécurité, saignés à blanc par le chômage.