Le scénario qui a été écrit autour du personnage d'Ali Seriati et de son complot présumé contre la sûreté intérieure du pays fait partie des gros mensonges de la révolution. Sciemment, on a fait de l'ancien directeur de la sécurité du président de la République l'ennemi public numéro un. Dans une sorte de guerre psychologique bien orchestrée, émaillée de communiqués officiels, de reportages télévisés et de talk-shows non stop, le général Seriati a fini par incarner avec ses hommes «l'axe du mal». Pourquoi donc avoir menti sur la date et les circonstances de son arrestation ? En réalité, Ali Seriati a été arrêté, sur ordre de Ridha Grira, ministre de la Défense nationale, et avec l'accord de Mohamed Ghannouchi, l'ex-Premier ministre de Ben Ali à 18h17, le soir du 14 janvier, au salon d'honneur de l'aéroport de l'Aouina. Il venait de raccompagner Ben Ali et sa famille vers leur avion en partance pour l'Arabie Saoudite et attendait tranquillement, selon les instructions de son président, Ghazoua Ben Ali et son mari Slim Zarrouk dont il devait assurer le départ vers l'île de Djerba. La version officielle est tout autre. On a prétendu que l'homme a été capturé à Ben Guerdane le 17 janvier, alors qu'il fuyait vers la libye. Sur les réseaux sociaux, une fausse vidéo de son arrestation crée le buzz. Tous les journaux reprennent une phrase qu'il aurait prononcée alors qu'il était en cavale : «Nous partirons peut-être, mais nous brûlerons le pays !». Plus étonnant encore : aucun démenti officiel n'est venu rectifier les faits autour de cette énorme intox, à laquelle beaucoup de Tunisiens croient encore...Personne n'a également communiqué sur la commission d'enquête mixte entre les ministères de la Défense et de l'Intérieur qui, le 18 janvier 2011 et après un minutieux inventaire des armes de la garde présidentielle, a conclu qu'aucune munition, aucune arme n'a été utilisée après la fuite du dictateur... Avec la bénédiction des Américains ? Selon un des membres de la commission chargée d'investiguer sur les dépassements et les violations, qui a requis l'anonymat, la manipulation de l'opinion publique a été décrétée le 14 janvier au soir. La commission Bouderbala qui a auditionné des centaines de personnes n'a pas tout révélé dans son rapport final, préférant, selon notre témoin, privilégier la version officielle des faits plutôt que de faire la lumière, toute la lumière, sur ce qui s'est vraiment passé pendant ces journées tumultueuses, qui ont suivi le départ de Ben Ali. Ainsi, dans la chronologie des évènements du 14 janvier, les auteurs du rapport ont volontairement omis de parler de tout le contenu de cette réunion qui s'est tenue au ministère de l'Intérieur après la passation du pouvoir présidentiel provisoirement selon l'article 56 à Mohamed Ghannouchi. Cette réunion présidée par le nouveau président par intérim a associé au départ de hauts cadres de l'armée et de la sécurité nationale. Ensuite juste restreinte au quatuor Mohamed Ghannouchi, le général Ammar, Ahmed Friaâ et Ridha Grira, elle s'est poursuivie jusqu'à 3h du matin et a décidé de lâcher définitivement Ben Ali (avec la bénédiction des Américains ?), de faire rapatrier son avion vers Tunis et de diaboliser Ali Seriati et les 2.500 hommes, qui travaillaient sous ses ordres accusés à tort dès le lendemain de mener tueries et «campagnes de terreur» contre l'armée et la population. Le «complot» du ministère de l'Intérieur Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer le «complot». Primo, la crainte que Seriati, homme fort, une sorte de génie de la sécurité et du renseignement, connu pour sa fidélité envers Ben Ali n'assure son retour. Secundo, la volonté de dissuader l'ex-président de reprendre le chemin du pays en lui faisant croire à un climat de chaos qui régnait dans les rues, un président qui les harcelait au téléphone et dont ils avaient encore tous terriblement peur. D'autre part, la manœuvre, confirmée par Ridha Grira dans le procès-verbal de son audition devant le tribunal militaire, avait pour eux un autre avantage. Cet ennemi «imprévisible» et «hyper-dangereux» qui a fini par incarner, à coups de campagnes de désinformation, pour tous les citoyens la garde présidentielle et ses snipers, pouvait mater le bouillonnement révolutionnaire des Tunisiens pour laisser travailler...les politiques. Or, cette stratégie de la terreur a entraîné la tombée de dizaines de victimes collatérales : 217 Tunisiens ont perdu la vie les jours d'après... Ali Seriati a été innocenté des charges de complot contre la sûreté de l'Etat. Il est accusé aujourd'hui de complicité de meurtre et risque 20 ans de prison ferme. Serait-ce l'homme qui en sait beaucoup trop sur des personnes toujours influentes ?