Depuis quelques semaines, le marché local est inondé de produits de consommation importés de destinations diverses. Importation légale, bien sûr. Une multitude de nouvelles marques de produits agroalimentaires en l'occurrence, en provenance de divers pays étrangers, comme la Turquie, l'Egypte, le Maroc, l'Espagne, l'Autriche, la Belgique, ont envahi les rayons des grandes surfaces de Tunis. Une grande variété de marques de fromages, de jus de fruits, de confitures et d'autres produits de consommation, ont, en effet, fait leur apparition dans ces commerces, suscitant la tentation des consommateurs tunisiens et faisant de l'ombre au «made in Tunisia». Parmi les étiquettes exposées, de fromages notamment, des labels français bien connus des Tunisiens, spectateurs assidus des chaînes de télévision françaises et , consommateurs, malgré eux, de pub française. D'autres sont moins connues mais l'emballage en dit long sur l'origine et la qualité du produit. En effet, quand ce n'est pas la marque qui attire l'attention et le regard des clients, le produit turc, autrichien ou belge, étant moins connu en Tunisie, c'est l'emballage qui ne les laisse pas indifférents. C'est le cas des packs de jus de fruits. Outre la grande variété de goûts proposée, le degré de perfection avec lequel sont fabriqués les emballages dénote d'un haut niveau de technicité, d'un savoir-faire haut de gamme et du souci du fabricant de tenir compte des plaisirs du consommateur et de chercher à les satisfaire. En marketing, c'est connu, la qualité de l'emballage est aussi importante que la qualité du produit lui-même dans les stratégies de vente. Elle rassure le consommateur, le met en confiance et les fabricants misent beaucoup sur cela. Les clients s'attardent devant les rayons pour faire connaissance avec la nouvelle marchandise exposée, déchiffrer les indications inscrites sur les packs, s'échanger des impressions et des avis, et se laisser, parfois, tenter par le plaisir de goûter à un produit de qualité. Sans regret. Néjia, une banquière à la retraite, habitant Le Bardo, le confie : «J'ai goûté une première fois puis une deuxième et une troisième; j'en ai eu pour mon argent ; les produits européens sont imbattables, il n' y a rien à dire sur la qualité et j'aimerais tant que les produits tunisiens deviennent aussi bons et aussi bien présentés». Faut-il craindre pour le made in Tunisia? Les marques locales de jus de fruits, de fromages, de confitures, de larges gammes également, côtoient les produits importés. La différence saute aux yeux du consommateur, malgré la mise à niveau de l'industrie agroalimentaire tunisienne et les efforts considérables des industriels au niveau des emballages et du design. La concurrence reste implacable, elle pèse de tout son poids sur le moindre détail. «Il y a de quoi avoir peur pour notre économie», lance un jeune ingénieur de 32 ans. Et pour cause. Les importations sont en train d'augmenter : plus de 13% par rapport à l'année précédente. S'agissant des produits européens, le démantèlement des barrières tarifaires entre la Tunisie et l'Union européenne, dans le cadre de l'Accord d'association, ainsi que le statut de partenaire avancé accordé à la Tunisie, a ouvert la voie à ces produits de plus en plus nombreux et divers dans le marché local. Pour survivre à la concurrence, les industriels tunisiens sont acculés à améliorer les normes de production afin de répondre aux standards de qualité exigés par les marchés européens. En attendant, l'écart important au niveau des prix de vente à la consommation favorise davantage le produit local qui convient mieux aux bourses tunisiennes mises à rude épreuve par l'augmentation des prix à la consommation (5,5% en novembre 2012). Il convient aussi et surtout aux voisins libyens. L'exportation des produits tunisiens vers la Libye connaît de beaux jours si bien que la contrebande s'y est mêlée, que les pénuries deviennent légion en Tunisie et que toute tentative de contrôle et d'organisation de ces échanges par les autorités publiques de tutelle débouche sur des mouvements de protestation. Force est de constater, par ailleurs, qu'au moment où le pouvoir d'achat des Tunisiens est en train de dégringoler, que le taux du chômage est en train de grimper, que les réserves financières en devises du pays frôlent le seuil critique, que les indicateurs économiques suscitent l'inquiétude et appellent à la vigilance, des produits d'importation de marque, débarquent, en grande quantité, dans nos murs pour garnir les étalages, concurrencer la production locale et augmenter le sentiment de privation et de frustration chez les Tunisiens qui n'arrivent plus à joindre les deux bouts. Certes, les accords d'échanges commerciaux bilatéraux et multilatéraux sont des engagements qui doivent être respectés, mais, considérant le contexte de transition démocratique faisant suite à une révolution, n'était-il pas possible d'engager de nouvelles négociations en vue d'identifier les moyens de traverser cette période difficile et agitée sans compliquer davantage la situation socioéconomique des Tunisiens, dont un bon nombre craint, aujourd'hui, le pire.