La prise d'otage réalisée par les jihadistes sur un site gazier du sud de l'Algérie a donné à tout un chacun une idée de l'audace et de la capacité d'initiative des groupes armés installés au nord du Mali. Dans le même temps, cette riposte qui intervient à la suite de l'entrée en guerre de la France avec ses opérations aériennes crée une nouvelle donne. L'Algérie, provoquée sur son propre territoire, peut-elle s'en tenir à sa politique de prudente neutralité ? Dans un sens, elle dispose d'un casus belli en bonne et due forme, qui lui permet de porter des attaques contre un ennemi dont elle n'ignore rien de la menace. Et les pays occidentaux pourraient d'ailleurs se frotter les mains à l'idée de voir notre voisin leur prêter main forte en créant pour les jihadistes un front sur le nord. Ces derniers se trouveraient ainsi pris en tenaille, ayant à combattre par ici et par là. Les pays occidentaux pourraient même nourrir l'ambition, à terme, de voir les troupes africaines qui se mobilisent actuellement sous la bannière de la Cedeao établir des liens avec l'allié du nord, c'est-à-dire l'Algérie, dans ce qui serait le début d'une coalition africaine transsaharienne... Il ne leur resterait plus alors qu'à servir de force d'appoint, en aidant par le renseignement, le conseil et quelques opérations ponctuelles. Double avantage, pour eux : celui du désengagement bien sûr, avec son économie en vies humaines et en coût militaire et, surtout, celui de la discrétion. S'il est en effet une leçon que les conflits engagés en Afghanistan et en Irak ont apporté aux puissances occidentales qui les ont engagés, c'est bien que leur surexposition en tant que belligérants comporte un risque énorme : il peut provoquer des ralliements au profit de l'ennemi, aussi bien sur la zone du combat armé d'ailleurs qu'en dehors de lui, au cœur même des capitales occidentales parfois... Songez donc ! Il semble d'ailleurs qu'un consensus prévale aujourd'hui en matière de stratégie face à la menace de l'islamisme armé et qu'il s'agit précisément d'aider les pays qui en sont les premières victimes à développer contre lui une capacité de défense. Plus d'intervention directe, mais de l'assistance. Plus de combats qui évoquent le retour d'une quelconque croisade dans les subconscients, mais des luttes engagées par des populations s'insurgeant contre ceux qui les oppriment et les terrorisent au nom de la religion. Tel est le scénario souhaité, à l'opposé du «shock and awe» des conseillers va-t-en guerre des Bush, père et fils. Mais l'Algérie peut faire une autre lecture de la situation... Loin de voir dans l'attaque sur son territoire un motif d'entrée en guerre, elle peut flairer le piège. Les jihadistes ne sont pas sans savoir qu'en réalisant l'opération qu'ils ont menée, ils s'ouvrent un second front. Le risque qu'ils prennent est à l'évidence calculé, prémédité. Et l'Algérie connaît assez bien l'adversaire pour ne pas comprendre qu'il y a danger. Danger que, selon un effet de domino, un troisième front s'ouvre, un front à l'intérieur même de l'Algérie cette fois, par le réveil soudain des anciens réseaux islamistes, qui n'ont jamais été vraiment supprimés, mais seulement mis en sommeil. Ce danger est certes relatif, et les islamistes du Mali ont peut-être tort de le surestimer : car l'Algérie profonde a eu aussi le temps de développer une forte détestation des jihadistes et de leurs agissements. Elle ne présente plus le même degré de vulnérabilité qu'autrefois, par rapport à leur travail de séduction et d'endoctrinement. Il y a eu un phénomène d'immunisation. Mais qui peut s'avancer sur ce terrain, sans risque de tomber dans un optimisme aux conséquences peut-être désastreuses. L'Algérie est engagée dans un processus de reconstruction depuis de nombreuses années et on peut très bien comprendre qu'elle n'ait aucune envie de retomber dans une guerre qui la ramènerait dans un passé honni. Mais il y a autre chose, qui peut susciter sa méfiance d'une façon qui devrait concerner toutes les parties impliquées dans le conflit : mener la guerre n'est pas si difficile face à un ennemi dont les moyens humains et matériels sont relativement modestes, mais la terminer, c'est une autre paire de manche. Quelle est la méthode ? Or si on ne sait pas terminer une guerre, on se condamne à la voir muter, exactement comme un virus ... Tel est aujourd'hui le défi, qui devra engager entre l'Occident et l'Orient une autre forme de collaboration.