Pour rencontrer la poésie, faut-il rencontrer le poète? Oui, parfois ! C'est sans doute un complément et un enrichissement importants que de voir l'âme qui se cache derrière les vers. On peut découvrir les œuvres d'un poète en l'écoutant en parler et en réciter, comme cette découverte peut se faire a posteriori, pour une plus profonde conscience de leurs sens, quand le contexte rejoint le texte. De cela et plus encore, Najet Ouerghi a parlé mardi 25 mai en tant qu'invitée du café culture du Club Tahar-Haddad. Cette originaire de la ville de Téboursouk a vu naître ses premiers émois poétiques, dans l'enfance et en langue française. Plus tard, son parcours à Tunis pour le lycée et l'université l'ont menée en parallèle à intégrer les cercles culturels et littéraires. Dès 1982, on entend régulièrement parler de ses poèmes jusqu'à ce qu'elle publie en 1993 son premier recueil intitulé Nuages. Trois ans plus tard, c'est au tour de la langue arabe d'être domptée par ses vers avec Ana lastou chaiira (je ne suis pas poétesse), un événement à ce moment- là accueilli d'une façon très mitigée, nous verrons pourquoi. Amours proches et lointaines vient, en 2003, s'ajouter à ses œuvres poétiques. Najet Ouerghi a également des essais de poèmes en russe et anime depuis trois ans, à l'Union des écrivains tunisiens, un cercle d'études sur la littérature tunisienne d'expression française. Son expérience fait d'elle l'une des figures de la poésie contemporaine et de ce qu'on appelle «la nouvelle vague de femmes-écrivains» en Tunisie. Des noms comme Jalila Souid, Aïcha Ibrahim et toutes celles citées dans le livre de Taos Bettaïeb, paru il y a deux ans et considéré comme un véritable «dictionnaire» recensant ces écrivains. «La poésie, c'est pour moi comme se mettre à nu», nous déclare d'emblée Najet Ouerghi lors de la rencontre. Voilà qui annonce la couleur ! Il s'agissait pour elle et pour nous présents de s'aventurer à la découverte de ce qui fait d'un poète un poète. Pour cela, il fallait revenir aux débuts, à son enfance bercée par un père qui l'a initiée à la poésie avec Elle était pâle, et pourtant rose ... dédié par Victor Hugo à sa petite-fille, avec la version arabe de la fable Le loup et l'agneau et qui lui racontait des contes à n'en plus finir. Puis, à ses nombreuses lectures et son amour démesuré pour les livres qui ne la quittent jamais, à ses intérêts poussés pour la peinture et la musique… D'ailleurs, couleurs et musicalité sont redondantes dans les vers qu'elle nous a lus, avec des images qui voyagent d'un monde à l'autre, dans tous les mondes possibles et imaginables dont elle ne semble jamais craindre de pousser les portes, avec la justesse de mots qui coulent de source. Sans oublier la sensibilité qui permet au poète de se surprendre et de voir se déclencher en lui des sensations insoupçonnées, comme elle a vu, suite à la Guerre du Golfe de 1991, son stylo aller de droite à gauche pour donner naissance à ses premiers écrits en langue arabe. Ces poèmes ont étoffé Ana lastou chaiira, controversé tout d'abord pour son titre qui n'est autre qu'une antiphrase et aussi par ceux qui ont prétendu faute de mieux que l'on ne prend pas à la légère l'écriture de poèmes en arabe. Sa réponse à la position d'intruse dans laquelle certains ont voulu la réduire est venue sous forme d'un poème, Fatet el arab (la fille des arabes), rien de plus magistral! Ainsi se crée un parcours, parfois naturellement, parfois par les circonstances. Il en était de même pour le russe, qu'elle a étudié au lycée et à l'université et dont elle s'est imprégnée suite à ses nombreuses visites au centre culturel russe. Un beau jour, les mots se sont formés en rime dans sa tête, dans la langue des slaves. Najet Ouerghi, un univers poétique à découvrir en trois langues, c'est le message d'un être humain à l'universel, dommage que son œuvre, au même titre que celle des femmes en général, soit confinée dans la catégorie «littérature féminine», raison pour laquelle peut- être la plus grande majorité des présents à la rencontre de mardi étaient des femmes?