En fait, Copenhague a révélé le nouvel état des relations internationales et annoncé vraisemblablement des futures hiérarchies de puissance. Hubert Védrine, bien avant ces assises climatiques, estima qu'on est, en 2009-2010, “au début d'une longue redistribution des cartes, qui prendra la forme d'une bagarre ou en tout cas d'une compétition multipolaire, à rebondissements multiples et à l'issue incertaine”. Et d'ailleurs, dès 2003, des analystes de la banque Goldman ont mis en évidence l'émergence des “Bric” (Brésil, Russie, Inde, Chine), aux dépens des autres puissances. Vu l'importance des enjeux, le sommet de Copenhague dessinait les lignes de fracture et les démarcations géopolitiques. Dans de telles assises, les chefs d'Etat ne peuvent, dans les grandes messes qui les réunissent, perdre de vue leurs intérêts nationaux. La redimension de l'Europe: le sommet de Copenhague illustra — certains diraient confirma — la redimension de l'Europe. L'Europe réussit, tant bien que mal, à s'entendre sur un projet d'accord. Ses dirigeants, particulièrement le Président Sarkozy, se mobilisèrent pour obtenir sa ratification. L'Europe dut tenir compte de l'émergence sur la scène d'acteurs déterminés à faire valoir leurs visions. Et d'ailleurs, derrière son unité de façade, l'Union européenne était très divisée sur la question. Certains pays, dont le Danemark qui accueillait et présidait la conférence, adoptaient une attitude de retrait. L'actualité politique a d'ailleurs souvent mis en évidence la démarcation entre l'Europe de l'Ouest et les anciennes Républiques socialistes, plus alliées avec Washington, par reconnaissance historique. Faut-il remettre en cause les ambitions de ceux qui veulent affirmer les prérogatives internationales de l'UE après l'application de l'accord de Lisbonne? Stéphane Madaule affirma hâtivement que “l'Europe puissance est une chimère”? (Le Monde, 29 décembre). Nous pensons que ce jugement doit être nuancé, sinon corrigé. L'axe Washington-Pékin: le Président américain Barak Obama et le Premier ministre chinois Wen Jiabao, qui se rencontrèrent le 18 décembre et se concertèrent sur la question, remportèrent la décision. Il faut prendre la mesure de cette initiative de ce G2, informel et pourtant convaincant. Les analystes européo-centristes signalèrent que le Président américain a rejoint la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud, “qui sont considérés comme les trouble-fêtes du sommet”. Faut-il rappeler que Hillary Clinton effectua son premier voyage important en Chine! Mais nous rejoignons l'analyse de Hubert Védrine qui estime que les Etats-Unis “essaieront de ne pas se laisser enfermer dans un G2”. Il s'agit plutôt, dans ce cas, d'une convergence d'intérêts, partagés d'ailleurs avec l'Inde, l'Afrique du Sud et le Brésil. Le dynamisme des pays émergents: rappelons le lever de bouclier des pays africains, qui ont exprimé leurs réserves au projet initial de l'accord. Se considérant lésés, ils ont défendu leur position. Surpris, un reporter considéra cet acte d'indépendance et de solidarité comme la manifestation d'un “pouvoir de nuisance”. Nous avons vu, d'autre part, que les pays du Sud ont été des acteurs incontournables des assises de Copenhague. Peut-on parler d'une résurrection du tiers-mondisme ou plutôt d'un néo-tiers-mondisme. Ils étaient pourtant conscients de la gravité des enjeux. Mais ils hésitaient à adopter cette logique de décroissance que l'accord impliquait ou du moins à faire valoir l'écologie sur le développement. Pouvaient-ils se résigner à aliéner leur économieet “payer les deux siècles de pollution occidentale”, sans un plan Marshall d'envergure de soutien ? Est-ce que d'autres alternatives ne sont pas possibles pour sauver la planète et ceux qui y doivent survivre ? En tout cas, l'accord du sommet de Copenhague a montré certains déficits de la gouvernance internationale: il fut réalisé par un compromis entre une trentaine de dirigeants sur les 119 présents. Ce qui incita le délégué brésilien à déclarer, lors de l'ultime séance plénière: “Vous allez entériner ce coup d'Etat contre les Nations unies”. Le Président français déclara que le sommet de Copenhague montre “les limites d'un système onusien qui est à bout de souffle”. De fait, ces assises remettent à l'ordre du jour l'examen de la réforme du système onusien, en relation avec la redistribution de cartes de la géopolitique internationale. –––––––––––––– – Hubert Védrine, Le temps des chimères, 2003-2009, Paris, Fayard, 2009, préface, p.10. – Voir le reportage de Paris-Match, du 23 au 30 décembre 2009, intitulé «Copenhague: beaucoup de bruit pour rien ou presque».