A l'époque du président déchu, les conseils supérieurs poussaient comme des champignons. On en comptait des dizaines qui se réunissaient, tout au plus, une fois par an et se contentaient de l'apparat et du décor pour exprimer leur soutien inconditionnel à la politique adoptée dans le secteur qu'ils étaient censés représenter. Du plan à l'éducation en passant par la jeunesse, le développement régional, la santé, la femme, l'emploi et on en oublie, leurs prérogatives étaient purement consultatives et leurs opinions ou recommandations n'avaient aucun caractère contraignant dans la mesure où le gouvernement de l'époque qui en désignait les membres, selon des critères bien propres à lui, se contentait de les écouter épisodiquement et de leur promettre que leurs remarques (y compris celles exprimées par les partis de l'opposition et des organisations de la société civile qui n'étaient pas toujours, faut-il le reconnaître, sur la même ligne que celle officielle) seraient prises en considération lors de l'élaboration des politiques sectorielles. Et la messe était dite puisqu'on découvrait, quand les plans étaient finalisés, que tout ce qui a été dit lors des sessions de ces conseils a été rangé dans les archives, sans plus. Aujourd'hui, avec la révolution de la liberté et de la dignité et avec l'élection de l'Assemblée nationale constituante le 23 octobre 2011, avec pour objectif principal la rédaction de la nouvelle Constitution, l'on se rend compte que nos constituants ont pris exemple sur le gouvernement déchu et donnent l'impression d'en suivre la voie en décidant que ces défunts conseils supérieurs deviennent des instances constitutionnelles inscrites dans le texte de la prochaine Constitution et bénéficiant de l'indépendance financière et administrative. En prime, leurs avis et décisions auront un caractère contraignant. Le rapport de la commission constituante chargée des instances constitutionnelles, présenté mercredi 23 janvier en séance plénière au palais du Bardo et dont la discussion est prévue pour lundi prochain, est édifiant, de par le nombre d'instances dont sont désormais imprégnés les constituants du 23 octobre 2011. La lecture de ce rapport révèle que presque tous les secteurs de la vie active et la quasi-totalité des activités économiques, sociales, culturelles, religieuses et environnementales seront dotés, au cas où la séance plénière y souscrirait, de leurs propres instances constitutionnelles. Ainsi, l'on dénombre dans la page 3 du rapport précité que «la commission a fixé une liste préliminaire de 32 instances supérieures, et ce, à la faveur de l'étude de constitutions d'autres pays et à la faveur des projets de constitutions qui lui sont parvenus de la part d'organisations de la société civile, de partis politiques ou de personnalités nationales, à l'instar de l'Ugtt, du parti Al Aridha Chaâbia, du parti Afek, du réseau Doustourna, du Pr Sadok Belaïd et de M. Youssef Abid». Report de l'examen de certaines instances Parmi les instances figurant sur la liste préliminaire (32), l'on peut citer quelques-unes comme : l'instance supérieure de l'endettement, l'instance supérieure de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, l'instance supérieure des normes et de la qualité, l'instance supérieure des droits de l'Homme, l'instance supérieure de l'environnement et du développement durable, l'instance supérieure de la préservation des droits des générations montantes, l'instance supérieure de contrôle des politiques publiques, l'instance supérieure indépendante de contrôle des crédits de l'Etat, l'instance supérieure de contrôle de l'emploi, l'instance supérieure de la sécurité, l'instance supérieure de sauvegarde du patrimoine et de l'identité et l'instance supérieure du développement régional. Le rapport souligne que les débats engagés au sein de la commission ont abouti à un consensus sur la création des cinq instances suivantes: l'instance des élections (dont la loi organique a été déjà publiée dans le Jort), l'instance des droits de l'Homme, l'instance du développement durable et des droits des générations montantes, l'instance de l'information et l'instance de la gouvernance et de la lutte contre la malversation. Il a été décidé, d'autre part, de reporter l'examen des instances relatives aux Tunisiens à l'étranger, à l'éducation, la formation et la recherche scientifique, au Conseil supérieur islamique et à l'instance d'Iftaa (déclaration des fatwas religieuses). Comment seront choisis les membres qui composeront ces différentes instances, disposeront-elles de la personnalité morale et de l'indépendance financière et morale indispensable à leur bon fonctionnement et auront-elles la qualité d'instance indépendante ? Les membres de la commission disent oui, toujours selon le rapport, à «la nécessité que ces instances soient dotées de la personnalité morale et de l'indépendance financière et administrative afin qu'elles puissent assumer leurs fonctions de la meilleure manière, avec l'efficacité requise et loin des tiraillements politiques et de toute intervention du pouvoir exécutif». Ils conviennent que la qualité «supérieure» ne sera accordée à aucune instance dans «la mesure où son inscription au sein du texte de la Constitution lui confèrera automatiquement cette position». «Les membres des instances seront élus par l'ANC qui constitue la seule autorité bénéficiant de la légitimité démocratique. Une commission parlementaire composée des différents groupes représentés au sein de la Constituante aura à choisir les candidats aux différentes instances parmi les listes qui seront soumises par les corps de métiers intéressés», précise encore le rapport de la commission. Composition de la Commission constituante des instances constitutionnelles – Président : Jamel Touiri – Vice-président : Abdelaziz Chaâbane – Rapporteur : Rabiî Abdi – Rapporteur adjoint : Mounir Ben Henia – Rapporteur adjoint : Nadia Chaâbane – Membres : Essia Neffati, Dalila Bouaïn, Abdelbasset Ben Cheïkh, Béchir Chammam, Habiba Triki, Mehdi Ben Gharbia, Noômen Fehri, Naceur Brahmi, Adel Ben Attia, Abdessalem Chaâbane, Slimène Hlel, Mohamed Habib Herguem, Abdelmonaem Krir, Rabiaa Najlaoui, Wissem Yacine, Faïza Kaddoussi et Mohamed Karim Krifa. La commission a tenu 59 réunions jusqu'au 25 septembre 2012 et trois séances d'écoute de personnalités spécialisées dont ont peut citer les Prs Sadok Belaïd, Yadh Ben Achour, Kaïes Saïed, Chafik Sarsar, Fadhel Moussa, H'mida Enneïfer, Moncef Cheïkh Rouhou et Imène Trigui.