Un débat copieux et dense concernant l'Instance supérieure des élections se déroule intensément au sein de la Commission juridique de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) où les projets prolifèrent. En plus du projet gouvernemental, l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) avec la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme (LTDH) et le Conseil de l'Ordre des Avocats sont aussi de la partie en présentant à leur tour leur projet. Pour ne pas être du reste, le Parti Républicain (PR) a aussi le sien. D'autre part, de nombreuses associations de la société civile comme Mourakiboun, ATIDE, le réseau Awfia, l'Association Tunisienne du Droit de Développement, la Ligue des électrices tunisienne et l'Association Jeunes Sans Frontière ont donné leur propre vision de l'Instance des Elections.
Kamel Jendoubi, président de l'ISIE qui avait été au four et au moulin et auquel a échu, avec son équipe, le grand mérite de mener à bon terme et avec succès les élections du 23 octobre, a été auditionné par la Commission chargée de l'examen des différents projets soumis. Il a étalé toute l'expérience acquise nonobstant les difficultés rencontrées et les pistes à explorer pour améliorer la gestion de l'ISIE. De leur côté le groupe d'associations (ATIDE, Mourakiboun, Awfia...), rappelle que le souci principal derrière la création d'une instance permanente chargée des élections est qu'elle soit indépendante du pouvoir politique, quel qu'il soit. Cela amène à éviter la répartition des tâches en fonction de l'appartenance politique. Le plus important est de garantir des élections libres, démocratiques, honnêtes, transparentes qui gagnent la confiance des électeurs, de l'opinion publique et de la classe politique. L'initiative de ce groupe est une réponse au projet gouvernemental.
Elle ambitionne de fournir à l'instance suffisamment d'indépendance dans l'élection de ses membres, des conditions de leurs candidatures. Les membres de l'Instance y compris leur président, doivent être élus par l'Assemblée Nationale Constituante. Il est proposé que le vote se fasse sur des listes et non sur des individus, tout en optant pour la majorité absolue et non la majorité des deux tiers.
Contrairement au projet gouvernemental qui parle d'une « Instance indépendante des élections bénéficiant de la personnalité morale et de l'indépendance financière avec siège à Tunis », le projet de la société civile parle « d'Instance Supérieure Indépendante des Elections, ayant une personnalité morale et bénéficiant de l'indépendance administrative et financière avec siège central à Tunis ». Le maintien de l'ancienne dénomination s'explique par le souci de capitaliser la confiance dont a bénéficié l'ISIE. Changer de dénomination nécessite un effort supplémentaire pour faire connaître l'instance au près du grand public. Concernant la fonction de l'Instance qui est l'organisation des élections et des référendums démocratiques, pluriels et transparents, le projet avancé par la société civile, ajoute la conformité aux normes internationales.
Des rectifications sont proposées ayant trait aux prérogatives de l'instance pour qu'elles soient clairement définies afin d'aboutir à des élections totalement transparentes. Il faut rappeler qu'aussi bien dans le projet gouvernemental que celui de la société civile, c'est l'Instance qui fixe le calendrier des élections et des référendums et en fait la publicité.
Dans le projet gouvernemental, il est proposé que le président de l'Instance soit choisi par les trois présidents ( président de la République, président de l'Assemblée chargée du pouvoir législatif et chef du gouvernement) puis soumis au vote de l'Assemblée qui doit l'approuver à la majorité absolue. Le projet de la société civile parle d'une Instance composée d'un président et huit membres tous élus par l'Assemblée. Une commission au sein de l'Assemblée se chargera de l'examen des candidatures. Cette commission est composée par les présidents de groupes et présidée par le président de l'Assemblée sans qu'il participe au vote. 27 candidats seront retenus. Dans chaque groupe de neuf il y aura 3 juristes et 6 non juristes.
Chaque liste choisit son président et les 3 listes seront soumises au vote dans une séance plénière de l'Assemblée législative. Le vote aura lieu sur liste. Si aucune n'obtient la majorité absolue, les deux premières passeront au second tour. Le choix sera fait à la majorité absolue des présents. Dans le projet gouvernemental, l'Instance est aussi composée de 8 membres et un président. Le choix des membres sera fait parmi 16 candidats proposés par une commission spéciale présidée par le président de l'Assemblée et composée des présidents de groupes. La commission examine les candidatures pour dégager 16 par consensus ou par vote à la majorité absolue des membres. La liste des 16 candidats retenus classés par ordre alphabétique sera soumise au vote de l'Assemblée. Celle-ci procède à un classement selon ses préférences. Les 8 premiers qui auront gagné la confiance de la majorité seront choisis, après avoir écouté les 16 candidats.
Concernant les conditions à satisfaire pour être membre de l'Instance, il n'y a pas de grande différence entre les deux projets, sauf que celui du gouvernement situe l'âge minimum à 40 ans contre 35 pour le projet de la société civile. Dans le projet gouvernemental le candidat ne doit pas avoir adhéré à un parti politique durant les trois dernières années. Celui de la société civile va jusqu'à 5 ans. Le projet de la société civile précise que le candidat ne doit pas avoir une relation familiale de premier degré avec un des membres des bureaux exécutifs des partis politiques, ou des membres de l'Assemblée législatives, du gouvernement ou du président de la République.
Les débats actuels au sein de l'Assemblée Nationale Constituante rapprocheront-ils les différents points de vue ? Au rythme avec lequel avancent les débats au sein de la commission chargée de l'examen des différents projets, l'espoir est permis.