Par Abdelhamid GMATI Les dictatures ont toutes un même souci: soigner leur image à l'intérieur et à l'extérieur de leur pays. Pas question de laisser apparaître ce qu'elles sont en réalité. Pour ce faire, elles usent d'une batterie de mesures, destinées à cacher ou à édulcorer les réalités. Il y a eu d'abord l'omerta, la loi du silence, que l'on impose à tous et en premier lieu aux médias et aux journalistes transformés en louangeurs, en flatteurs. Les informations, audiovisuelles ou écrites, sont filtrées, choisies, déformées ou passées sous silence. Cela s'applique aussi aux autres domaines comme la culture. Il y a lieu aussi de parer ses actions, ses activités, ses décisions, ses choix d'une aura de légalité. On fait appel aux députés pour adopter des lois faites sur mesure et à tout le système judiciaire pour envelopper le tout d'une apparence de justice indépendante. Et on pratique l'exclusion contre tous les récalcitrants, les opposants, les voix discordantes, souvent en utilisant des «avocats du diable», chargés de calomnier, de menacer, de dénoncer, d'instruire des procès fabriqués, iniques. Tout cela le peuple tunisien l'a vécu durant les dernières décennies. La Révolution a délié les langues et les esprits et on a recherché la transparence, histoire de mettre fin à cette omerta. Est-ce vraiment le cas ? Madame la vice-présidente de l'Assemblée nationale constitutionnelle, Meherzia Laâbidi, a décrété de limiter les déplacements des journalistes dans les locaux de l'ANC et de les confiner dans un petit local éloigné et exigu. De l'avis d'une majorité de députés, les journalistes n'ont jamais gêné les députés. Cet argument avancé pour expliquer la décision s'est donc avéré fallacieux. Alors, pourquoi ? Cela ne vise qu'à limiter le travail des journalistes et les empêcher à rechercher l'information, à recueillir les avis des élus, à rendre compte de ce qui se passe dans les coulisses. Une sorte d'omerta. D'ailleurs, certains, à l'ANC, sont opposés aux retransmissions en direct de leurs séances plénières qui, d'après eux, sont responsables de la mauvaise opinion qu'ont les Tunisiens de leurs représentants. De son côté, le chef du gouvernement, en annonçant la conférence de presse qu'il devait tenir hier, a averti les journalistes qu'ils ne seront pas autorisés à poser des questions. A-t-on jamais vu une conférence de presse interdisant aux journalistes de s'informer directement et de demander des réponses à des questions motivées ? Etonnant de la part d'un Premier ministre qui ne cesse de prôner la liberté de presse et la transparence. L'omerta prend aussi d'autres allures. Il est un avocat, inconnu jusqu'à ces derniers mois, qui affiche de plus en plus sa présence, en particulier dans les médias, qui fait parler de lui et s'autoproclame «conscience du peuple et protecteur des objectifs de la Révolution par le biais de l'application de la loi». Fethi Lâayouni qui se distingue en multipliant les plaintes, vient de déclarer lors d'un meeting du mouvement Ennahdha à Sidi Bou Saïd : «Ne me parlez surtout pas de liberté d'expression ou de pluralisme, il faut accélérer les démarches pour la promulgation de la loi de l'immunisation de la Révolution». Cette loi, rappelons-le, est une loi visant à exclure des milliers de Tunisiens de la vie politique et sociale et à les priver arbitrairement de leurs droits politiques et civiques de Tunisiens à part entière. Cet avocat a intenté des procès contre des députés, parce que certains avaient observé une grève de la faim et d'autres avaient quitté leurs formations pour rejoindre le parti Nida Tounès. Plusieurs autres procès du même avocat impliquent des hommes politiques, des artistes, des journalistes, des opposants. Au meeting sus-mentionné, il a menacé les chargés de la délégation spéciale de Sidi Bou Saïd de poursuites ainsi que «tous ceux qu'on voit défiler sur les plateaux». Il s'agit donc d'exclure, d'intimider et de faire taire les voix discordantes. Pourtant cet avocat, qui vilipende contre les ex-Rcédistes, écrivait dans son mémoire de fin d'études en 1977 : «La Tunisie, après le changement historique du 7 novembre 1987, a commencé une politique d'ouverture et de libéralisation consistant en plusieurs lois qui encouragent l'investissement pour renforcer l'économie nationale...Après ces multiples réformes, Son Excellence le Président Zine Al Abidine Ben Ali a annoncé la libération du dinar tunisien, une mesure qui a eu un impact considérable sur la prospérité économique de la Tunisie...». Se faire «avocat du diable», c'est défendre une cause considérée par la majorité comme mauvaise, indéfendable. Pourquoi le faire surtout que l'avocat Lâayouni a déjà perdu certains de ses procès? Peut-être pour le plaisir de choquer, obtenir des avantages ou des profits personnels. En tout cas, il s'est acquis une certaine notoriété, négative en général. Certains, se basant sur ses menaces et ses accusations sans preuve, l'ont déjà surnommé «avocat de la terreur».