La Tunisie est aujourd'hui en plein accouchement politique. Un accouchement dur et qui risquera d'aboutir à la naissance d'une "souris". On n'était pas habitué à ces situations. Ont est en train d'apprendre la démocratie, et les partis politiques viennent juste de se constituer. Après la démission de l'ex-Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, le processus de transition démocratique et politique a changé. C'est ainsi qu'on a opté pour une haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique. Cette assemblée qui regroupe à côté des experts et personnalités nationales, des représentants des partis politiques, des régions, de la société civile, des familles des martyrs et des jeunes. Une composition qui vient juste d'être validée, après des négociations et des revendications acharnées.
Malgré le manque de légitimité de cette autorité, les différentes sensibilités politiques et civiles ont voulu tenir à ce fil, pour essayer de sortir de l'impasse politique dans laquelle était plongée la Tunisie de l'après 14 Janvier.
Les travaux de cette commission étaient très indécis, surtout que les membres arrivant de plusieurs horizons, ont différentes tendances, et ont des intérêts divergents. Ils ont remporté un premier succès en votant à l'unanimité le projet de décret-loi relatif à l'instance chargée de superviser et de contrôler les élections de l'assemblée constituante, prévues le 24 juillet prochain. C'était un premier succès qui nous a rassurés sur le sérieux et la volonté de faire avancer le processus démocratique en Tunisie. Mais voilà, quand on est arrivé aux choses les plus sérieuses, c'est-à-dire celles relatives à la loi électorale, les vraies intentions sont apparues, et chacun a montré son vrai visage.
Loin d'attaquer l'intégrité ou le quotient intellectuel des membres de cette haute instance, ou leur maitrise des instruments et textes juridiques, ils viennent de commettre la faute la plus grave qui pourra entacher le processus démocratique à l'issue de la révolution tunisienne.
En votant l'article 15 du projet de décret-loi, les membres de cette haute instance ont pratiqué les mêmes procédés appliqués par l'ancien régime, ce qui nous ramène à une nouvelle dictature sous un visage démocratique. Exclure les responsables du RCD qui ont eu des postes de responsabilités durant les 23 dernières années, revient à exclure une très grande partie de la population tunisienne, évaluée par certains à 1,5 million de personnes. C'est une démarche grave et qui risquera de perturber encore plus le pays et menace profondément sa stabilité.
On rappelle que le RCD avait dans ses rangs plusieurs cadres de l'administration publique, des avocats, des médecins, des chercheurs, des juges, des enseignants, des universitaires, de simples citoyens, des ouvriers, des fonctionnaires,… Ils étaient tous dans le système soit par conviction, soit par nécessité, soit pour des intérêts personnels, soit à cause de l'absence d'autres alternatives politiques sérieuses,… Les causes diffèrent, mais le résultat est le même: ils étaient dans la machine. Selon les chiffres disponibles, ce sont 9.000 cellules et 270 fédérations qui travaillaient au sein du RCD, avec plus de 12 membres pour chaque structure. Alors, venir aujourd'hui, d'un simple article, voté par une instance à la légitimité mise en cause, exclure tout ce monde pour des raisons non déclarées, mais connues, c'est un saut dans le vide.
Mettre tout le monde dans le même panier, et faire le jugement de 1,5 million de Tunisiens est injuste, et même illégal, vu qu'on ne doit empêcher aucune personne de se présenter aux élections que sur la base d'un jugement. Or, ce n'est pas le cas. Même les conventions internationales relatives aux droits civiques et politiques que la Tunisie a signées, interdisent de mettre ce genre d'obstacles dans l'exercice des droits politiques. Cet article 15, en voulant rompre avec le passé, a rompu avec la légitimité et le bon sens. En effet, certains membres de la Chambre des conseillers n'ont pas eu de leur vie aucune responsabilité au sein du RCD, et pourtant leur silence était plus nuisible, qu'un président de cellule. Un diplomate, qui a nui aux intérêts de la Tunisie durant sa carrière, en travaillant pour le régime et non pour le pays, pourrait n'avoir eu aucune responsabilité au sein du RCD, et échappe ainsi à l'article 15. Certains journalistes qui ont insulté des opposants, et induit la population en erreur à travers leurs articles, ont commis des crimes plus graves que des Rcdistes, et pourraient n'avoir eu aucune responsabilité au sein du RCD. Des PDG de banques ou d'entreprises publiques pourraient n'avoir eu aucune responsabilité au sein du RCD, et pourtant certains ont commis des fautes graves de gestion, et ont accordé des crédits de complaisance. Des membres de partis politiques «pro-régime» auraient commis des fautes plus graves que des responsables Rcdistes, et pourtant ils n'avaient pas de responsabilité au sein du RCD.
Les membres de la haute instance, dans la précipitation ont même oublié de préciser à quel niveau de responsabilité faut-il aller ? Un flou qui dénote du niveau d'ambiguïté dans le travail de cette instance.
Qui peut réellement profiter de cette mesure? Ce sont surtout les petits partis politiques dont les adhérents ne peuvent pas remplir un bus, comme l'a dit le Premier Ministre, ou des organismes qui ont intégré la haute instance pour parler au nom du peuple et ils ont parlé en leurs noms.
Nous assistons aujourd'hui à une véritable chasse aux sorcières, et un sentiment de vengeance grave, qui nuit à tout espoir de réconciliation ou de paix politique dans le pays.
Des voix d'imminents juristes tunisiens se sont élevées contre ce projet, à l'instar de Kaïs Saïd ou Sadek Belaïd, le qualifiant d'anti-démocratique. Même les plus fervents opposants au régime de Ben Ali et à son parti ont refusé cet esprit d'exclusion. Mais qui a dit que le peuple voulait ça? Après le 14 janvier, le peuple a appelé à la dissolution du RCD, chose qui vient d'être faite juridiquement, mais pas dissoudre les personnes. La différence est de taille.
Et la majorité silencieuse dans tout ça? Elle est malheureusement encore silencieuse. C'est le moment de parler, car l'avenir politique se décide actuellement, et ce n'est pas une minorité en manque de légitimité qui devra le faire. Nous comptons sur cette majorité pour qu'elle soit plus dynamique, et lève la voix, ou elle restera muette à jamais. Ils doivent aussi avoir leur Kasbah.
Il faut compter aussi sur la compréhension du gouvernement, et à sa tête monsieur BCE, qui doit épargner au pays un nouveau blocage politique et éviter de sombrer dans la vengeance aveugle. Le président temporaire de la République, monsieur Foued Mebazaa, doit assumer pleinement sa responsabilité politique historique, et arrêter ce cirque, qui a assez duré. Il est impératif que la haute instance revoie sa copie.
S'il le faut, on doit passer par un référendum, et rendre la décision au peuple, qui a fait la révolution, et non la haute instance. Une solution que certains peuvent refuser, parce qu'ils ont peur de la voix du peuple.