Le poste de la Justice continuait hier d'être au centre des divergences entre Ennahdha et ses alliés de la Troïka La journée d'hier était la veille de l'annonce prévue d'une nouvelle composition du gouvernement, et les rumeurs allaient bon train. C'est en effet une promesse faite par le président du gouvernement Hamadi Jebali, lors de sa dernière conférence de presse, samedi dernier, de soumettre «dans les prochains jours», une liste de ministres à l'approbation de l'Assemblée constituante pour la période qui nous sépare des prochaines élections. Le ministre de l'Agriculture, responsable au parti Ennahdha, confirmait l'information hier en disant que cela se jouerait «dans les prochaines 24 heures». Il ajoutait cependant que le remaniement ne devrait pas dépasser les 3 jours... Côté CPR, on ne cachait pas une note d'optimisme. Hédi Ben Abbés nous confiait hier soir qu'il y avait accord sur le contenu du programme développé par le chef du gouvernement, en expliquant que ce programme reprenait des revendications présentées par son parti : le renforcement de la sécurité, la lutte contre la corruption, le développement de projets dans les régions déshéritées... A quoi s'ajoutent, dit-il, la question des mécanismes de prise de décision, la neutralité de l'administration et des mosquées, le fait de revoir les nominations de façon collégiale... Il reste donc à attendre la réponse concernant «les vœux définitifs» que Hamadi Jebali avait demandé aux partenaires de la Troïka de lui soumettre. Et là, on passe à la question redoutée des postes ministériels. On sait qu'il existe une pression sur Ennahdha pour qu'elle renonce à deux ministères : les Affaires étrangères et la Justice. Les deux alliés du parti majoritaire au sein de la Troïka se rejoignent sur ce point, même si on a tendance à attribuer au CPR une fixation sur le poste des Affaires étrangères et à Ettakatol une autre sur celui de la Justice. Parlant au nom de ce dernier parti, un responsable rappelle que les exigences d'Ettakatol portent bien sur les deux postes. Mais il insiste sur la portée symbolique d'un changement à la tête de la Justice: aussi bien à l'adresse des avocats et des magistrats que de l'étranger, ce serait un message fort d'installer une personnalité indépendante. Pour lui, la pression sur la justice est devenue un thème tellement dominant que certains considèrent que la situation n'était pas pire sous Ben Ali. A vrai dire, si on s'accorde sur le fait qu'une entente est acquise sur le départ de Rafik Abdesselem, la pomme de discorde réside précisément autour du ministère de la Justice. Interrogé hier soir au téléphone, Walid Bennani, membre du bureau exécutif d'Ennahdha, confiait que les dernières tractations se poursuivaient. «Les membres d'Ennahdha ne voient pas pourquoi ils devraient renoncer à certains ministères alors que cette répartition a eu lieu sur la base d'un programme... Pourquoi, ajoute-t-il, les autres ministres restent, eux ? S'il y a un travail d'évaluation, il doit s'appliquer à tous. L'obligation d'améliorer les résultats concerne tout le monde.» Sur ce point, il convient cependant de rappeler, comme le souligne le responsable d'Ettakatol, que le départ du ministre de l'Education est envisagé. Ce qui relativise l'affirmation de concessions à sens unique. On croit également savoir, dans un autre registre, que les tractations en cours prévoient l'arrivée dans la coalition au pouvoir d'un nouveau parti — Liberté et dignité, dirigé par Néjib Hosni — ainsi que, d'une façon plus hypothétique, celle de l'Alliance démocratique, de Mohamed Hamdi. Une source du parti Ennahdha évoque comme assurée la cession de deux ministères au profit du premier parti cité. Ces dispositions font que, dans tous les cas de figure, la physionomie de la coalition au pouvoir ne sera plus celle que nous avons connue depuis les dernières élections. Mais nous ne sommes pas à l'abri d'une crise ministérielle si, tournant le dos à ses anciens alliés, Hamadi Jebali présentait une liste qui ne tient pas compte de leurs exigences... «Dans l'état actuel des choses, il y a un risque qu'il n'y ait pas de majorité... fait valoir le responsable d'Ettakatol. Tout se joue avec la réunion de la Choura : soit elle enfonce le clou, soit elle recule»... Si elle enfonce le clou, le risque est donc, d'après notre interlocuteur, que nous ayons un gouvernement de gestion des affaires courantes. Une hypothèse qui, selon lui, n'est pas nulle : le chef du gouvernement a peu de marge de manœuvre face à la Choura, et il songerait même à jeter l'éponge. Pour preuve : «S'il affirme que nous avons besoin d'un maximum d'observateurs étrangers, c'est qu'il sent un danger qui plane sur les conditions des prochaines élections et qu'il ne veut pas assumer la responsabilité d'une telle éventualité !»