Par Hamma HANACHI Panique à bord. Le ministère de l'Education est dans tous ses états, la cause ? Un taux effarant de suicides comme en Chine, en Finlande ou au Japon ? Non. Le pays est secoué par une fusillade dans les classes comme aux Etats-Unis ? Non plus, mais des jeunes qui dansent dans un lycée de Tunis. On en rigolerait presque, n'eussent été les menaces du ministre d'expulser les futurs danseurs. Le ton sérieux qu'adoptent des responsables pour donner leurs avis et la tournure que prend « l'acte provocateur » a de quoi inquiéter. La polémique prend des proportions énormes, secouant le sommet du ministère et divisant la population en conservateurs, pères Fouettards, gardiens de la morale et en libéraux, tolérants et permissifs. C'est un épiphénomène qui a pris naissance aux Etats-Unis, une chanson électro accouche d'une danse sans mouvements synchronisés, spontanée ; filmée sur un réseau social, la vidéo voyage d'un pays à l'autre, elle fait des émules partout, rencontre un succès inattendu, Harlem Shake conquiert le monde des jeunes lycéens. A Tunis, le ministre en charge ne voit pas cette « excentricité » d'un bon œil, sans prendre le temps de creuser le sujet, sans convoquer et consulter les spécialistes, il réagit au quart de tour, condamne fermement la directrice, le staff et les lycéens. Scandale. Les parents, les citoyens y vont de leurs commentaires, les arguments ne manquant pas. Pour ou contre ? Les médias s'en mêlent; heureusement, une chaîne télé donne la parole aux intéressés; sur le plateau, un jeune lycéen explique ce que le ministre semble ignorer : le rythme scolaire écrasant, les pressions des examens qui le poussent à se défouler, à vivre sans intention de choquer personne. Réaction saine à l'anesthésie et au marasme ambiant, un psychologue ne l'aurait pas désavoué. Par instinct, par défi ou pour afficher leur solidarité, plusieurs lycées et des facultés se mettent au Harlem Shake, des groupes annoncent une méga-danse demain devant le ministère de l'Education. Peut-on imaginer une jeunesse sans dynamisme, sans dépense d'énergie, sans insolence ? Malheureusement, il se trouve aujourd'hui des hauts responsables au gouvernement qui semblent avoir oublié leur jeunesse ou pire, qu'ils n'en ont pas eu. Réseaux et contestation Souvenir. Il y a un peu plus de dix ans, une jeune fille française de Nice, en fin de scolarité, est venue effectuer un stage au journal La Presse de Tunisie. Les yeux tout ronds, étonnement de voir les journalistes écrire stylo en main sur du papier. Courte conversation au bout de laquelle on a compris sa consternation découlant du préjugé que les journalistes avaient abandonné depuis longtemps les stylos et les papiers pour utiliser l'ordinateur. A cette époque, celui-ci, avec ses applications, était généralisé dans les rédactions en France. Ce temps nous semble lointain, des siècles, on en rigole aujourd'hui, au point qu'on a oublié les formes des premiers ordinateurs reçus, grands comme de petites armoires. Si on évoque ce souvenir qui remonte à la surface de la mémoire, c'est que les innovations qui se bousculent dans le secteur des nouvelles technologies bouleversent notre regard. Peut-on avec une vue rétrospective percevoir le soulèvement des masses arabes, les consciences de la jeunesse sans l'ordinateur, sans Internet, peut-on imaginer le regroupement dans un même lieu, à la même heure, de manifestants venant de villes lointaines pour protester contre les brutalités répressives sans la lecture des messages sur facebook? L'arme des réseaux sociaux a été nécessaire sinon fondamentale dans la réussite des révolutions arabes et elle sert désormais à rallier des groupes, à diffuser tout, de l'utile au dérisoire, du texte constructif à l'image dérangeante. Bref, c'est un outil idéologique incontournable qui perturbe le paysage social et politique. Etonnement encore suscité par la manifestation du samedi 23 février dernier. Répondant à des appels lancés sur les réseaux sociaux, près de cinq à six mille citoyens de la société civile se rencontrent à l'avenue Habib-Bourguiba. Il a suffi de peu de jours d'échanges d'informations entre facebookers et autres twitteurs pour que la rencontre ait eu lieu. Le monde virtuel s'est transformé un moment en moyen de combat. Parmi les faits divers récents qui ont eu un statut d'événement, qui ont fait réagir les responsables et attirer les médias, l'intervention d'une députée lors d'une séance à l'ANC. Ses propos balbutiés, ses phrases coupées, déformées, son élocution indiscernable ont fait plier de rire un de ses pairs et les téléspectateurs avec; le soir-même, la dame est devenue l'idole des facebookers et le sujet comique de la semaine. Se sentant humiliée, diffamée sur les pages FB, excédée, sa honte subie ; elle répond par une idée saugrenue demandant au ministre des Technologies de la communication de faire payer aux navigateurs un droit d'accès sur FB. Ce qui ajoute de la drôlerie à la bêtise.