Elle appartient à cette génération de jeunes artistes qui ne sortent pas du sérail, et que l'on a intérêt à garder à l'œil, car c'est peut-être par eux que viendra le renouveau. Ymen Berrhouma n'a pas fait les Beaux-Arts, mais une école de stylisme. Elle a vécu à l'étranger plusieurs années avant de se fixer (?) en Tunisie. Atypique, fantaisiste, originale, elle se compose un personnage, l'habite et commence à peindre et exposer. On a pu voir ses œuvres dans des expositions de groupe, puis en solo, et l'on s'était fait d'elle une image : celle d'une artiste à fleur de peau, écorchée vive, « utilisant la peinture comme un défouloir thérapeutique, cherchant sans cesse à vaincre les non-dits et les plaies vécues. Son œuvre se matérialise comme une explosion sur toile de jets de frustrations ». Cela, c'était l'ancienne Ymen Berrhouma, celle que l'on ne retrouve en aucun cas dans l'exposition qu'elle présente actuellement à la galerie Ammar-Farhat, «Quelque part dans l'inachevé » . Que s'est-il passé ? Elle seule peut le dire, nous, public, nous ne pouvons que ressentir. Une explosion, certes, mais de couleurs, de lumières, de formes. Point de cette danse macabre, de ces personnages en châtiment qui constituaient son label et sa signature. Alors peut-être faut-il chercher dans la composition des groupes, dans les structures de ces familles qu'elle représente, celui qui est à l'écart, et qui témoigne d'une fracture, d'un ostracisme. Peut-être faut-il, si on le veut vraiment, chercher la trace et la mémoire d'une exclusion et d'un rejet. Ou peut-être faut-il se dire, plus simplement qu'Ymen Berrhouma, apaisée, arrivée à bon port, a reconquis la sérénité, et découvert l'harmonie. L'exposition, et elle ne compte pas beaucoup d'œuvres, propose un travail entre deux pôles, le réel et l'irréel, l'achevé et l'inachevé, le figuratif et l'abstrait. Cette oscillation entre deux équilibres, c'est le regard que pose chacun d'entre nous sur lui-même, le miroir qui réfléchit nos doutes, nos questionnements, notre fragilité. Cette quête de soi se traduit aussi par la technique adoptée, un jeu de matières, de collages et d'arrachages, de lumières, entre l'apparition et la disparition. Ses personnages se fondent, se diluent, mais en même temps, curieusement, marquent leur territoire. C'est dans cette indécision entretenue que se situe la subtilité du travail d'Ymen Berrhouma. Sa volonté de ne pas titrer ses toiles illustre ce désir de ne pas se donner des limites, et de ne pas cadrer ses personnages pour leur offrir la liberté du « hors champ ».