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Olivier Bernex et la Révolution tunisienne
Arts plastiques
Publié dans La Presse de Tunisie le 17 - 06 - 2011

• Rencontre fascinante d'un artiste de l'autre rive avec la Tunisie et de laquelle vient de naître une œuvre foisonnante et prémonitoire de la Révolution… des coquelicots.
Si l'on veut bien reconnaître que peindre est un véritable travail, cela signifierait deux choses bien distinctes. D'abord que les œuvres d'art ne se font pas toutes seules, que l'expression ne parvient à son parachèvement qu'à travers des recherches souvent incertaines et même quelques repentirs.
L'artiste fait subir à son propre langage pictural des transformations, de tout ordre, pour produire une œuvre d'art, qu'il pense accomplie. Le langage «travaille» du dedans des choses. Il est comme un vin qui va mûrir dans le fût. Il se confond avec l'action même du peintre, en ce sens que peindre n'est pas seulement une action «sur» mais «par» le langage, comme d'ailleurs chez l'écrivain.
Ensuite, le mot «travail» désigne l'activité sociale du peintre, et elle n'est pas seulement un divertissement ou un luxe. Pourtant, la création artistique — du moins chez nous — n'apparaît pas encore comme faisant partie des fonctions qui composent la «machine sociale». Elle ne fait pas, comme elles, tourner la machine dans l'immédiateté ou dans le définissable. La production d'œuvres artistiques ne peut même pas s'inscrire dans un quelconque programme à l'avance, à moins qu'il s'agisse d'une commande. Alors, à quoi donc pourrait aboutir l'œuvre d'art? Toute la question est là!…
Cette petite digression étant faite, nous voudrions signaler un exemple d'artiste — rarissime, il est vrai — ou non seulement la production de ses œuvres récentes (synthèse de toute une vie) s'inscrit, bel et bien, dans un programme précis, mais aussi qu'en tant que «création», elle est maintenant apte à faire tourner la machine, devenant ainsi une «fonction irremplaçable». Ce cas de figure s'appelle Olivier Bernex, un peintre qui, depuis une cinquantaine d'années, se meut dans «les couleurs de l'inquiétude», «en proie à tous les démons et merveilles de la peinture actuelle», depuis les collines d'Allauch, sur les hauteurs de Marseille où il vit et travaille. Des centaines d'œuvres entre toiles de moyen et grand formats, beaucoup de polyptyques, des huiles et acryliques, sur papier, des collages, des carnets de voyage, croquis, esquisses, qui traduisent un univers familier ou une nature sauvage, en des compositions «où se mêle à des éléments figuratifs, l'informel d'une vision intérieure».
Un inventeur d'images
Les thèmes, nombreux, que nous avions découverts il y a une vingtaine d'années, chez lui, ont consacré plus d'une fois sa nature environnante, et des sujets plus importants d'après Fragonard, Delacroix ou Michel Serres, ces derniers exécutés en 1721, pour témoigner de «La Peste à Marseille», des «Gisants», des polyptiques en grand, encore et encore, pour dire la tourmente qui agite ses peintures, «les conflits entre les formes, la juxtaposition des couleurs…», tout cela, pour nous obliger à sonder la surface, pour y découvrir d'autres vérités plus sourdes et plus profondes. Olivier Bernex est inventeur d'images d'après nature. C'est au milieu des années 1990 qu'un nouveau déclic (après sa descente de Paris vers Marseille) va opérer dans la pensée et l'œuvre de l'artiste lorsque, à notre invitation, et puis à celle du Festival international des arts plastiques de Mahrès, il se rend enfin en Tunisie. Dans ce «midi plus bas», il ne résiste plus à la sorcellerie de nos paysages du Sud et du «Khamsin», ce vent chaud qui, dans le port lagunaire de Mahrès, et les sénias, lui raconte des histoires anciennes. Après Kandinsky, Klee, Moillet et bien d'autres peintres, il est ébloui par cette «seconde» nature, cette lumière incandescente, silhouettes humaines qui se confondent avec le paysage.
«Après les ténèbres, la lumière»
«Alors que je touche le fond, soudain la lumière, un jeu d'artifice! Une féerie de couleurs vivantes inonde l'espace, leur intensité contrastant avec le noir des ténèbres les rend irréelles». Il s'agit d'un voyage nocturne en train, vers Mahrès. Une vision étrange saisit le peintre : «Une voie lactée d'images hallucinantes et banales à la fois, des palmiers accrochés aux boules orangées des réverbères, des bateaux qui volent. Tout se lace et s'entrelace. Le train coupait la ville de part en part, il semblait rentrer dans l'eau et nous nous y mélangions. Les néons, les calligraphies abstraites tourbillonnaient.
La vie, dans cette nuit bleue et noire, illuminait Sousse. Les bateaux de pêche éclairés par des lamparos, les filets et leurs boules rouges, les piliers de la halle orange-ocre, découpaient et rythmaient l'espace de verticalités et d'obliques (...)
C'était complètement dingue, «la voie royale pour la peinture». Le lendemain à Mahrès, et trois voyages encore jusqu'en 2009, ce même sentiment : «un autre jour s'anime, grouillant, bruyant, avec un soleil aveuglant, bouillonnant. Déjà, de nouveau croquis vont s'arracher au passé, à cette déréliction. Pas de doute, la vie reprend le dessus, phénomène biologique, animal, palingésénique.»
Des centaines de croquis puis, vers Marseille, des peintures sur toiles et sur papier qui vaudront à Olivier Bernex des expositions sur cet «Orient», revisité, de nombreuses expositions dans le midi de la France et surtout à Paris qui l'avaient déjà consacré «grand peintre», «peintre prodige», à l'âge de seize ans! De ses séjours, il reprend «ses croquis qui m'attendaient sur l'autre rive». Apparaissent alors les féeries de Sousse et les paysages ocrés des grands ergs, ceux de Mahrès «les illuminations rimbaldiennes», «les barques» (celles des harragas, déjà!), la pauvreté même de ces habitants qui cultivent une certaine dignité, malgré les scandales silencieux de la dictature, du népotisme et du gangstérisme, ce «lieu où s'expliquent les différences de cadre, de structures et d'affabulations».
Mais quoi faire de ces nouvelles images qui ont presque fait de l'ombrage aux autres, plus tempérées ou moins agitées que celles de ce travail «in vivo», nocturne et diurne. En 2002, Olivier Bernex, qui a compris que ce nouveau travail souterrain de l'imaginaire en Tunisie, a produit une explosion de l'instantané en lui car «l'illumination n'est pas incompatible avec la maturation», retourne en Tunisie pour faire des «raccords», dans les mêmes conditions de survie : au début du mois d'août, pour se persuader, en tant que peintre «classique-moderne» ceci : «Même si on m'annonce la mort de la peinture, depuis ma jeunesse, je suis vraiment persuadé que l'art moderne et ses origines ne sont pas le résultat de ruptures mais, au contraire, de continuité, si ce n'est dans ses formes, du moins dans ses fondements» Olivier Bernex est aussi un théoricien de l'art et c'est peut-être cet aspect lucide et sociologique de l'art «être à sa fenêtre d'artiste et se regarder passer en même temps dans la rue» qui lui vaudra en tant que «créateur», d'avoir pressenti quelque temps avant le 14-Janvier, et à sa manière, la révolution tunisienne. En effet, et comme nous le disions au début, les œuvres récentes, dix toiles grand format carré (2m x 2m), plus des œuvres sur papier, œuvres inédites encore et que nous avons eu l'honneur de découvrir chez lui, sont symboliquement un hymne véritable à notre Révolution «celle des coquelicots» et non celle du jasmin, reléguant la Tunisie à une république même pas bananière, mais plutôt «patatière» quand on voit dans quelle misère se retrouvent nos régions reculées.
Les «Promenades solitaires de Rousseau», Bernex et la Tunisie
Il y a trois semaines, votre humble serviteur était au théâtre Toursky de Marseille pour assister aux XXIes Rencontres du théâtre méditerranéen. Richard Martin nous y invitait (entre autres Fredj Chouchane) pour le débat autour de l'Union pour la Méditerranée et des joutes autour des poètes méditerranéens. Olivier Bernex, ami de longue date de cette «famille de poètes et de saltimbanques» de cette institution et qui fut aussi le compagnon de Léo Ferré jusqu'à sa mort dont le Toursky fêtera, le 14 juillet 2013, le 20e anniversaire du décès de cet archer libertaire et romantique, nous invitait le lendemain chez lui pour nous montrer ses œuvres récentes inspirées des «Rêveries du promeneur solitaire» de Jean-Jacques Rousseau. D'abord, des toiles de «grandeur nature». Des toiles où entre la nature elle-même avec toute sa floraison. Dix toiles, aux cimaises de l'atelier, opérant comme des miroirs réfléchissants «ce petit val qui mousse de rayons» cher à Rimbaud. Autrement dit, la colline et le vallon où vivent Olivier et Minouche, son épouse attentive et son égérie. L'artiste a esquissé et peint dans ce style qu'on lui connaît, entre art formel et informel les dix rêveries de Jean-Jacques Rousseau entre la première qui date de l'automne 1776 et la dixième du 12 avril 1778. Bien évidemment, ces PS (promenades solitaires, telles que signées sur les toiles par l'artiste, à travers des initiales), ont été reproduites dans le style «bernexien», c'est-à-dire avec des procédures qui déstabilisent le regard au début allant s'émoussant au fur et à mesure du déploiement des rêveries jusqu'à faire apparaître enfin le portrait «dessiné» de Rousseau et, en arrière- plan, Madame de Warrens ou les prémices du romantisme en Europe et particulièrement en France. Ces «ruptures» (au départ) qui résonnent sur la surface, pourraient comme le dit Patrick Moquet, un fin analyste de l'œuvre de l'artiste, répondre à la divison des temps qui caractérisent l'activité picturale d'Olivier Bernex, à la fois peintre, théoricien et auto-analyste (avec un recul très froid et même sévère sur sa démarche) : «Voir, analyser, choisir ses moyens d'expression, aller de la palette au support». L'aventure picturale de l'artiste s'offre, aussi, historiquement, comme autant de haltes propices, des grains d'un même chapelet, dans cette aventure à la fois matérielle et spirituelle dépeinte par Olivier Bernex. Partout où il a créé, se sont mélangés des mythes (anciens et modernes) chez lui. A 16 ans, il avait peint un Christ «étrangement ressemblant» et, peut-être, plus saisissant que celui de Rouault.
Avec les «Dix promenades de Rousseau», nous sommes en présence à la fois du Réel et de l'inspiré d'une Nature généreuse «planète étrangère pour l'homme». Cahos incompréhensible ; fiction-vérité ; labyrinthe d'embarras; réforme morale (comme dans Le contrat social); examen de conscience avec le mensonge et ses couardises.
Puis, d'un temps à l'autre, dans cette révolution de 1789 à venir (même pas un an plus tard), la 6e rêverie «d'embûches, d'intrigues, de ruses». Exactement comme chez nous en Tunisie, actuellement.
Et puis, surtout, où la Nature reprend ses droits, à travers ce que Olivier Bernex a entrevu en Tunisie : d'un côté la beauté du pays et ses richesses naturelles (anciennes) insoupçonnées et, de l'autre, l'homme asservi par les contraintes sociales.
A la 9e, comme dans «la Symphonie pastorale» de Beethoven, nous nous retrouvons dans «Le rêve bourdonnant de la Nature ensoleillée» (Romain Rolland). Olivier Bernex, à travers ses «séquences» de la mort entrevue — comme chez Mohamed Bouaziz —, dit ceci: «Si je pouvais encore dans quelques yeux, ne fusse que d'un enfant, la joie et le consentement d'être avec moi, je ne serai pas obligé de chercher parmi les animaux le regard de la bienveillance désormais refusé par les humains.» L'artiste parle ici de son chien disparu et qui a été «remplacé» par «Soleille» auquel, lorsqu'il m'écrit, intime l'ordre à son beau canidé de «signer avec la patte et le sourire»!
Tout cela pour dire que dans sa trajectoire, son «passage à l'acte» de peindre en Tunisie aura été ce «flux naturel et continuel qui ne permet à rien d'y prendre une forme constante». Le 10e tableau, «Jours de pâques fleuries», est un hommage à Madame de Warens, c'est le début du romantisme...
Dix toiles, grains d'un même chapelet de ces «rêveries», correspondent ainsi aux premières atmosphères de la révolution du 14 janvier, en ce sens que nous avions (depuis longtemps) notre pays, la sauvegarde de son patrimoine, ses ressources naturelles, sa population locale délocalisée et, surtout, ce banditisme à grande échelle du président déchu et de ses acolytes.
A travers les peintures sur papier (les barques, les remous, les frénésies, la folie même des situations), notre révolution était déjà – avant janvier — à l'ordre du jour, dans l'imaginaire de cet artiste de l' «entrevoyure» et dont il se souvient toujours de la cause féréenne pour peindre, dans les coulisses d'un spectacle ou en pleine nature.


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