Le phénomène du terrorisme reste évolutif et il est plus facile de le cerner à cause des multiples facteurs et acteurs qui y interviennent. En Tunisie, on a besoin d'une conscience générale des aspects de ce phénomène et de ses origines pour pouvoir y faire face, d'autant plus que notre pays est au bord d'une zone de nombreuses activités terroristes perpétrées notamment par Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Pour le moment, la Tunisie n'est qualifiée, par aucune des organisations ayant des références islamistes, surtout celles extrémistes, de terre de djihad. Cependant, la situation sécuritaire vulnérable, la perméabilité de nos frontières avec la Libye et l'Algérie, fief de l'Aqmi depuis 2006, et l'instabilité de la région sur le plan sécuritaire, outre la récurrence des violences notamment celles perpétrées contre les hommes politiques, tout cela laisse planer un sentiment de peur et de terreur que plusieurs Tunisiens ne cessent d'exprimer. Ce sont là les principaux enseignements, entre autres, tirés lors d'un séminaire de réflexion organisé hier à Tunis par la fondation Al Majd pour les études stratégiques, conjointement avec le journal l'Expert. La logique de liquidation et le radicalisme pur Ont pris part à cette journée d'étude, des experts et des analystes en matière de sécurité globale à l'instar de Noureddine Naïfar, chercheur et secrétaire général de l'Association tunisienne des études stratégiques et de politiques de sécurité globale. «Le terrorisme est un phénomène total», a expliqué l'expert Noureddine Naïfar. Il a ajouté: «Il est doctrinal, social, aussi géopolitique et politique. De même il est évolutif. Aujourd'hui, nous sommes face à la 4e génération d'Al Qaïda qui est une génération plus forte qualitativement et quantitativement. Elle maîtrise les nouvelles technologies de communication et d'information, et s'organise mieux dans un espace libre. Sur le plan intellectuel, elle est plus formée en techniques et endoctrinée par les télévisions satellitaires wahhabites. Cette génération profite de la faiblesse des Etats et elle est radicalement contre l'Etat. Elle veut imposer une autre éducation, celle du fondamentalisme, et propose une coupure radicale avec l'Occident, estimant que tout se résout par le jihad». Pour ce qui est de la Tunisie, il a affirmé que l'assassinat du martyr Chokri Belaïd est un événement très dangereux. «Car, a-t-il indiqué, c'est pour la première fois qu'un Tunisien tue un Tunisien pour des raisons politiques. Le passage à l'acte montre qu'on est en train d'entrer dans une logique de négation de l'autre et la fin du relativisme, ce qui met en danger la coexistence pacifique des citoyens et de la composition diversifiée de la culture tunisienne». Noureddine Naïfar estime que c'est le commencement du cycle de la violence et qu'il serait périlleux pour le pays qu'il y ait assassinat et vengeance par un autre assassinat. «Ce qui est un prélude à la “libanisation" dans un conflit de gauche contre droite et inversement. Il est utile aujourd'hui pour le pays d'entamer un dialogue qui englobe toutes les tendances, y compris les salafistes. Ce sont nos enfants qui ont subi le désert culturel, l'inégalité sociale, la marginalisation et la démagogie des forces qui les manipulent au service d'agendas servant d'autres nations et d'autres intérêts», a-t-il enchaîné. La Tunisie n'est pas une terre de jihad mais... De son côté, Naceur Al Héni, juriste et cofondateur de la Fondation Al Majd des études stratégiques, a affirmé qu'il existe une multitude de définitions du terrorisme, tout en s'étalant sur les enjeux politiques, économiques et autres de ce phénomène. Le terrorisme, a-t-il expliqué, est un phénomène lié à la pensée jihadiste basée sur l'accusation des autres de mécréance (attakfir). C'est après la fin de la guerre afghane qu'un front jihadiste a été constitué en Algérie, en 2006. C'était au départ des groupes qui se sont transformés en salafistes appelant au jihad, nommés Al Qaïda au Maghreb islamique, qui dispose d'importantes ressources financières, d'armement et de camps d'entraînement. A partir de cette pensée jihadiste, il était facile de promouvoir un environnement radical. Ils ont entre autres des groupes de détection qui choisissent les personnes les plus disposées psychiquement et physiquement à perpétrer des attentats terroristes pour les engager. Autrement, il n'existe qu'une relation fonctionnelle entre les groupes salafistes et les autres groupes qui les financent et tiennent à rester en dehors de l'image, a ajouté Naceur Al Héni. Selon lui, la Tunisie n'est pas une couveuse pour le terrorisme, mais elle n'est pas apte à contenir les conséquences des actes terroristes comme c'était le cas en 2002 avec l'attentat de Djerba que les autorités tunisiennes ont essayé de camoufler, en vain. Violences, pas toutes salafistes ! L'apport de la diplomatie et la sécurisation des diplomates étaient les points sur lesquels est intervenu Hamed Ben Brahim, secrétaire général du Syndicat des agents des relations extérieures. D'après lui, les diplomates aident à prévenir les actes terroristes, ce qui les rend une cible prioritaire pour les terroristes d'autant plus qu'ils peuvent être utilisés comme otages. Il a différencié plusieurs types de diplomatie dont celle des alliances, qui serait à l'origine de tensions avec des corps terroristes à cause du suivisme pour lequel opte un pays aux décisions de ses alliés. «Nous suivons depuis longtemps une certaine diplomatie sereine et équilibrée qui aide à ouvrir des horizons de coopération et de développement avec les autres pays. Ce qui offre une certaine aisance à nos diplomates pour qu'ils travaillent dans la quiétude loin des menaces terroristes. La diplomatie reste un premier voile qui peut contenir les problèmes», a-t-il ajouté. Pour Michaël Béchir Ayari, chercheur et membre de International Crisis Group, il faut faire attention à l'origine des agressions et des violences pour différencier ce qui est terroriste de ce qui est acte exceptionnel. «Il y a des actes qui sont attribués aux salafistes alors qu'ils ne sont que de simples violences sociales juvéniles. La réforme du système sécuritaire s'impose, de même sur le plan politique. Pour ce qui est de la Tunisie, Ennahdha doit avoir un discours clair alors que toute la région du Sahel est instable depuis l'installation d'Aqmi», a-t-il expliqué. Alors que le journaliste Safouane Grira, correspondant de France 24, s'est étalé sur le rôle des médias à plusieurs niveaux pour combattre le terrorisme, Youssouf Ahamat Tyera, général tchadien à la retraite, expert militaire des affaires africaines, a insisté sur l'importance de l'échange d'informations entre les pays pour lutter contre ce phénomène.