La révélation, hier, de l'équipe gouvernementale tant attendue constitue-t-elle finalement une pure et simple reconduction de la Troïka ? Les personnalités dites indépendantes choisies par Laârayedh et cautionnées sûrement par Ennahdha sont-elles venues «crédibiliser» la Troïka bis ? Le nouveau gouvernement dont on attend toujours la feuille de route annoncée par Ali Laârayedh aura-t-il les moyens de résister aux pressions partisanes et réussir à rétablir la confiance des Tunisiens en son élite qui, par ses errements et ses hésitations, est parvenue à perdre de son capital confiance auprès de l'opinion publique ? Autant d'interrogations que La Presse a soulevées en invitant certains acteurs du paysage politique national à livrer leurs premières lectures à propos de la nouvelle équipe gouvernementale et à faire part de leurs attentes quant à ce que pourraient réaliser Laârayedh et ses ministres au cours des quelques mois de longévité de son cabinet. Témoignages Riadh Ben Fadhl (coordinateur général d'Al Qotb) : Une Troïka bis embellie Il fallait un aboutissement à ce feuilleton qui a démarré fin juillet 2012 pour s'achever à la mi-mars 2013. Ce gouvernement est un retour à la case départ avec une Troïka qui «embellit avec quelques personnalités indépendantes». Le véritable enjeu dans la grille de lecture de ce gouvernement est de savoir quel sera le degré d'indépendance des personnalités non partisanes qui ont rejoint le gouvernement de la Troïka bis. Il y a dans ce gouvernement des ministres dont le rendement a été catastrophique et qui ont, néanmoins, gardé leurs postes, dans le cadre d'une partie de chaises musicales ou des ministres qui ont récupéré d'autres portefeuilles. Plus qu'une affaire d'hommes, je tiens à relever le fait que seuls deux postes ministériels reviennent à deux femmes. Il s'agit de savoir avant tout si l'équipe de Laârayedh va être capable de mener le pays à parachever la dernière phase transitoire et à organiser des élections libres et transparentes. L'urgence sociale et la détérioration du pouvoir d'achat des citoyens doivent être le fer de lance de l'action gouvernementale et il faut absolument que le ministère de la Justice cesse d'être instrumentalisé politiquement. Dans ce cadre, la libération de Sami Fehri et de Boubaker Al Akhzouri, ancien ministre des Affaires religieuses, représenterait un signal fort de la fin de l'entêtement et de l'instrumentalisation de ce ministère de souveraineté. Pour Al Qotb, l'urgence politique, économique et sociale nécessite la tenue d'un congrès de salut national et la réactivation du dialogue national initié par l'Ugtt, ce qui permettra de débattre de toutes les questions relatives à la bonne finalisation de ce qui reste de la période transitoire. Nous demandons à Ali Laârayedh d'entamer immédiatement un dialogue tous azimuts impliquant les partis politiques, la société civile et le monde syndical ouvrier et patronal afin que la légitimité de l'ANC soit renforcée par une légitimité consensuelle, et ce, dans l'intérêt supérieur du pays. Lotfi Mraïhi (secrétaire général de l'Union populaire républicaine) : Des intérêts et des accointances partisans Ce gouvernement constitue un nouveau signal de l'échec d'Ennahdha de se maintenir et de s'instituer comme une locomotive dirigeant l'action politique en Tunisie. Après le gouvernement Jebali et l'échec de son initiative de gouvernement de technocrates, Ennahdha, acteur légal et légitime à la faveur des élections du 23 octobre 2011, s'avère être incapable de fédérer autour d'elle des forces politiques qui partagent, un tant soit peu, ses convictions et son projet. Il est légitime de se poser la question de savoir si Ennahdha, au-delà du fait qu'elle soit une véritable machine électorale et un parti aux rouages bien huilés, est incapable finalement de se hisser au niveau d'une véritable locomotive qui trace une trajectoire pour la Tunisie de demain. Le constat est aujourd'hui accablant après un an et demi de gouvernement Ennahdha. Le pays a dilapidé des années d'efforts engrangés par les Tunisiens et s'est endetté à des niveaux qui rappellent les dernières années du gouvernement Mzali. Au-delà des personnes qui le composent, le nouveau gouvernement est, encore une fois, fondé sur des accointances et une connivence d'intérêts qui ne sont pas forcément ceux de la Tunisie et du peuple tunisien.Aujourd'hui, la Tunisie est un acte avorté. Les Tunisiens n'ont pas su se hisser au niveau de l'événement. Le sursaut de la Tunisie meurtrie, bafouée, humiliée et oubliée, la Tunisie profonde qui a chassé Ben Ali, n'a pas été relayé par le peuple tunisien, base et élite. Abdelwaheb Hani (président du parti Al Majd) : La logique des récompenses, toujours de mise En fait, la Troïka enfante la nouvelle Troïka et refait confiance en certains ministres symboles de l'échec. Le nouveau gouvernement reste prisonnier de la logique des quotas et des récompenses au détriment des compétences. On assiste aussi à la politique du remplissage avec 10 secrétaires d'Etat dont la majorité ont fait preuve d'incompétence et d'inutilité. Toutefois, il y a eu une avancée remarquable au niveau des ministères de souveraineté avec la nomination de ministres compétents et intègres, en particulier Othman Jerandi, l'un de nos meilleurs diplomates de carrière, et Me Nadir Ben Ammou, avocat et professeur de droit, à la tête du ministère de la Justice, qu'Al Majd a déjà proposé. Les nouveaux ministres de l'Intérieur et de la Défense, tous deux magistrats, ont une bonne réputation. Reste à savoir s'ils vont s'imposer et s'ils vont pouvoir résister aux pressions du parti au pouvoir qui les a nommés. Nous attendons toujours le programme d'action du gouvernement qui doit être axé sur le retour de la quiétude sur les plans sécuritaire, politique, social, économique et diplomatique. Certains nouveaux ministres commencent déjà avec un passif très lourd, à l'instar du ministre de l'Emploi, Naoufel Jemmali, ex-chargé de mission auprès de Abdelwaheb Maâtar. On se rappelle qu'il a déclaré, il y a quelques mois, qu'il n'y a pas de solution au problème du chômage en Tunisie. Le défi n°1 du gouvernement reste toujours le rétablissement de la confiance des Tunisiens tout en sachant qu'il ne disposera d'aucun délai de grâce. Abdelmajid Abdelli (universitaire et membre du bureau politique de Wafa) : Rien n'a changé Pour moi, rien n'a changé dans la mesure où les visages choisis n'appartiennent pas à la révolution. Avec ce gouvernement, on a oublié que la Tunisie a vécu une révolution. Ceux qui sont au pouvoir nous donnent l'impression qu'ils doivent tout à la révolution, à ses martyrs et à ses blessés. Je m'interroge : a-t-on répondu réellement aux requis de la révolution, et ce, depuis le gouvernement de Hamadi Jebali ? Avec le gouvernement Ali Laârayedh, c'est la continuité de l'échec dans la mesure où il n'y a aucun programme clair et précis. Les gouvernements ne se forment pas en cherchant les individus auxquels on propose des portefeuilles ministériels sur un simple coup de téléphone, sans accorder une quelconque importance à une feuille de route ou même à des orientations générales. Au parti Wafa, nous avons fini par claquer la porte parce que les résultats étaient connus d'avance.