L'intervention télévisée, lundi soir, du Dr Moncef Marzouki, président de la République provisoire, annonçant, notamment, qu'il ne démissionnerait pas de ses fonctions à la tête de l'Etat a-t-elle introduit une nouvelle donne sur la scène politique nationale? Est-il vrai que l'alliance au pouvoir n'est pas menacée d'éclatement, contrairement à ce que beaucoup d'observateurs n'ont pas manqué de souligner à la suite de l'ultimatum d'une semaine lancé par le CPR, dans lequel il menace de retirer ses ministres du gouvernement au cas où ses conditions concernant le remaniement ne seraient pas prises en considération. Comment les protagonistes du paysage politique national ont-ils réagi aux messages contenus dans l'allocution présidentielle ? Considèrent-ils que l'ultimatum du CPR n'est plus de mise quand on sait l'influence qu'exerce toujours Marzouki sur ce parti, bien qu'il n'en soit aujourd'hui que le président d'honneur? Quelle lecture font-ils de l'appel présidentiel aux partis politiques afin qu'ils dépassent leurs divisions et les tiraillements les traversant pour aboutir au consensus, conditions incontournables pour la réussite de la transition démocratique ? L'intervention télévisée, lundi soir, du Dr Moncef Marzouki, président de la République provisoire, annonçant, notamment, qu'il ne démissionnerait pas de ses fonctions à la tête de l'Etat a-t-elle introduit une nouvelle donne sur la scène politique nationale? Est-il vrai que l'alliance au pouvoir n'est pas menacée d'éclatement, contrairement à ce que beaucoup d'observateurs n'ont pas manqué de souligner à la suite de l'ultimatum d'une semaine lancé par le CPR, dans lequel il menace de retirer ses ministres du gouvernement au cas où ses conditions concernant le remaniement ne seraient pas prises en considération. Comment les protagonistes du paysage politique national ont-ils réagi aux messages contenus dans l'allocution présidentielle ? Considèrent-ils que l'ultimatum du CPR n'est plus de mise quand on sait l'influence qu'exerce toujours Marzouki sur ce parti, bien qu'il n'en soit aujourd'hui que le président d'honneur ? Quelle lecture font-ils de l'appel présidentiel aux partis politiques afin qu'ils dépassent leurs divisions et les tiraillements les traversant pour aboutir au consensus, conditions incontournables pour la réussite de la transition démocratique ? Témoignages Mohamed Bennour, (porte-parole d'Ettakatol) : Le dialogue, notre choix de toujours Je pense que le président de la République provisoire s'est voulu rassurant en s'adressant au peuple tunisien à propos d'un problème qui préoccupe tous les Tunisiens, quelle que soit leur appartenance. Marzouki s'est comporté en tant que président de tous les Tunisiens et a fait valoir qu'il jouera son rôle jusqu'au bout. C'est une position positive que nous ne pouvons que saluer. Quant à son appel aux partis politiques à surmonter leurs dissensions, nous y adhéreons totalement et nous invitons ces mêmes partis à s'asseoir autour d'une même table de négociation sur l'avenir de la Tunisie. Nous considérons qu'il est temps de réactiver l'initiative de l'Ugtt sur le dialogue national. D'ailleurs, le Dr Mustapha Ben Jaâfar, président d'Ettakatol, a déjà proposé que le siège de l'ANC abrite cette nouvelle rencontre de dialogue. Pour nous, le dialogue reste le seul moyen pour arriver à un consensus autour des prochaines échéances et pour éviter au pays les dangers qui le guettent. L'ultimatum du CPR est-il devenu caduc ? Je ne peux pas me prononcer. Je pense que c'est aux responsables de ce parti de répondre à cette question. Au sein d'Ettakatol, nous considérons que l'expérience de la Troïka est toujours d'actualité. Au cas où la formation d'un gouvernement ne répondrait pas à nos exigences, nous adopterons une position à la lumière de la nouvelle donne. Abdelwaheb Hani, (président du parti Al Majd) : On attendait une solution définitive Au niveau de la forme, cette intervention est arrivée tardivement, avec un mauvais timing et sans aucun effet. Sur le fond, le président de la République provisoire voulait être rassurant après les déclarations contradictoires de ses conseillers qui sont allés jusqu'à annoncer sa probable démission. Il n'y a rien de nouveau sauf son appel à l'union et à dépasser les querelles partisanes. En fait, nous attendions une déclaration rassurante sur la fin du feuilleton du remaniement et l'annonce définitive de la nouvelle équipe gouvernementale. Le peuple attendait le chef du gouvernement pour trancher. On a eu droit au discours du chef de l'Etat comme un cheveu sur la soupe. Quant à l'issue de l'ultimatum lancé par le CPR, je pense que ce parti est traversé par des divisions qui ont laissé apparaître deux courants antagonistes. Le premier autour de Mohamed Abbou appelle à une refonte de l'action gouvernementale et pose même un ultimatum au gouvernement en place. Le deuxième courant, constitué de figures issues d'Ennahdha, adopte clairement les positions de leur parti d'origine. Au parti Al Majd, nous appelons à trancher définitivement la question du remaniement, soit par l'annonce d'une nouvelle équipe dans un délai de 2 ou 3 jours, soit par la démission collective du gouvernement en place et la décision par le président de la République provisoire de charger une nouvelle personnalité de la majorité à l'ANC (Jebali de nouveau ou une autre personnalité) en vue de former un nouveau gouvernement sur des bases claires de recours aux compétences nationales et d'élargissement de la base politique de la coalition. Ajmi Lourimi, (membre du bureau exécutif d'Ennahdha) : L'ultimatum du CPR relève de la surenchère verbale Je voudrais signaler que le Dr Moncef Marzouki s'est adressé aux Tunisiens en sa qualité de président de la République, donc de tous les Tunisiens et non de président d'un parti politique, fût-t-il honorifique. Son allocution a démontré qu'il croit toujours en l'alliance entre islamistes modérés et laïcs modérés également. C'est une expérience purement tunisienne qui a réalisé certaines avancées mais qui a rencontré également, il faut le reconnaître, certaines difficultés. Son allocution est un message rassurant destiné aussi bien aux Tunisiens qu'à nos partenaires à l'étranger. C'est un message qui veut dire clairement qu'en dépit de nos différences, nous sommes capables d'édifier la Tunisie nouvelle et nous pouvons réussir. Je pense qu'il est conscient que certains partis politiques ont, lors des négociations sur le remaniement, placé leurs intérêts partisans au-dessus de ceux de la nation et il a bien fait de tirer la sonnette d'alarme. Son message a, aussi, le mérite de dissiper les inquiétudes qui se sont emparées de l'opinion publique, surtout après les déclarations du chef du gouvernement sur l'échec des négociations concernant le remaniement ministériel. D'autre part, il est convaincu que le point de discorde relatif au ministère de la Justice constitue un détail qui n'a pas beaucoup d'importance dans la mesure où les composantes de la Troïka sont d'accord sur l'essentiel des politiques contenues dans le document du nouveau contrat politique, qui leur a été soumis par le chef du gouvernement. Pour ce qui est de l'ultimatum lancé par le CPR, il relève de la surenchère verbale, ni plus ni moins, et ne traduit aucunement les relations établies entre les partis de la Troïka. C'est un discours destiné à la consommation interne au sein du CPR qui cherche à préserver son unité. Il n'aura aucun impact sur l'avenir de la Troïka. Quant aux négociations sur le remaniement, elles se poursuivent toujours et n'ont pas été suspendues une seule journée. Nous pouvons affirmer qu'une bonne nouvelle est à annoncer au cours de la semaine. A. DERMECH Taher Belhassine (Nida Tounès) : «Un message vide de sens» 1- Le président de la République a annoncé qu'il ne démissionnera pas, mais vu ses prérogatives, sa démission ou sa non-démission passera inaperçue et ne changera pas grand-chose à la situation du pays. A mon avis, Moncef Marzouki ne démissionnera jamais, car il utilise son poste et le budget de la présidence à des fins électorales. Ce qui est inconcevable. Il a voulu rassurer le peuple tunisien alors que le pouvoir est concentré ailleurs. De ce fait, son message, pour le moins vide de sens, n'aura pas d'effet, ni sur le pays ni sur le peuple. 2- Je trouve que l'ultimatum du CPR est sans grande conséquence. A mes yeux, Ennahdha a déjà trouvé des remplaçants. Le vrai obstacle à la crise que connaît le pays, ce n'est ni le CPR ni Ettakatol, c'est le parti Ennahdha. 3- Le parti qui affiche des divisions n'est autre qu'Ennahdha. Et ça ne peut que profiter au pays. Abdelkrim Lahssaïri (membre du bureau politique du Parti des patriotes démocrates unifié) : «Une déception totale» 1- Il y a quelques semaines, le président de la République affirmait que l'actuel gouvernement n'a concrétisé aucune des revendications de la révolution ni du peuple en général. Son bilan étant de ce fait non satisfaisant, il fallait, donc, opter pour un gouvernement rétréci qui réponde aux demandes et revendications du peuple. Ce que nous avions apprécié en tant que parti. L'on s'attendait, donc à ce que dans son discours de lundi, il frappe un grand coup, d'autant qu'il avait apprécié l'initiative de l'Ugtt et qu'il était présent lors de la rencontre organisée par la Centrale syndicale pour rassembler toutes les forces politiques autour de cette initiative. Mais, hier, ce fut la déception; pis encore, nous étions choqués par sa volte-face où il a démontré qu'il n'avait aucun principe, qu'il ne faisait que servir ses propres intérêts et qu'il était accroché au poste de président de la République. Moncef Marzouki ne veut rien entendre et il est prêt à tout pour conserver sa fonction. Nous aurions voulu qu'il mette en avant le dialogue national et le consensus, afin de sortir le pays de la crise sociale, économique et sécuritaire qui le mine. Car ce gouvernement ne s'occupe ni ne se préoccupe d'aucun de ces problèmes, il est plutôt occupé à placer ses propres partisans dans tous les rouages de l'Etat. Aucune instance: de la justice, de l'information, des élections ou autres, n'a vu le jour. La Constitution n'avance pas, tout est au point mort. Même chose au plan économique, vu le cri d'alarme lancé par les experts et les spécialistes, dont Mustapha Kamel Nabli, ancien gouverneur de la Banque centrale. Or, le président n'a pas évoqué tous ces problèmes. Bien au contraire, il n'a pas réussi à rassurer le peuple. 2- Franchement, il est difficile de prévoir si le CPR tiendra bon et concrétisera son ultimatum. Le CPR est une minorité dont a besoin le parti majoritaire d'Ennahdha et il en est conscient, d'où l'ultimatum lancé, d'autant que sa position qui prône la neutralité des ministères de souveraineté se rapproche de celle d'Ettakatol. Ces deux partis s'accordent, donc, à faire pression sur Ennahdha pour placer des personnalités indépendantes à la tête de ces ministères. Or, si cela n'arrive pas, c'est la crise gouvernementale à coup sûr, ce qui aggravera davantage la situation. D'où l'importance de la pression de tous les partis, de la société civile et du peuple. 3- Il est vrai que le CPR et Ettakatol connaissent des divisions mais les plus en vue sont celles d'Ennahdha. Le parti a certes montré, au début, beaucoup d'organisation et de discipline, mais les contradictions internes sont apparues de si tôt et continuent de plus belle. Samir Taïeb (El Massar) : «Jebali tiendra-t-il tête à l'appareil d'Ennahdha ?» 1- Je trouve ce discours inutile car la majorité du peuple s'attendait à ce que le président de la République évoque les difficultés économiques, sociales, sécuritaires et autres problèmes de violence que connaît le pays. Or il nous a annoncé sa non-démission de sa fonction, répondant ainsi à une rumeur qui a été utilisée par le CPR pour faire pression sur Ennahdha. Franchement, il aurait pu se contenter d'un communiqué. Il a également déclaré que contrairement à ce qui se dit, personne ne veut monopoliser le pouvoir, ce qui est une manière de ménager Ennahdha. Je trouve que le président a raté une occasion de se taire et qu'il était à côté de la plaque. A mes yeux, ce remaniement ministériel n'intéresse personne maintenant, il n'a pour but que d'amuser la galerie et d'occuper les gens. 2- L'ultimatum n'est pas la position de tout le monde au sein du CPR. Car certains de ses partisans, dont un ministre proche d'Ennahdha, a lancé en plein Conseil central du CPR qu'il était prêt, s'il recevait une gifle d'Ennahdha, à tendre la joue gauche et cela dans l'intérêt du pays. Mais la vraie question est de savoir si le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, est capable de tenir tête à l'appareil d'Ennahdha, dont l'aile dure, celle des faucons, a pris le pouvoir lors du récent Conseil de la choura. 3- De quelle lutte partisane parle le président ? Ennahdha a appelé certains partis pour former le nouveau gouvernement, certains ont répondu, d'autres pas. Il est normal qu'une sorte de compétition existe entre les partis politiques. Mais s'il avait parlé et dénoncé la violence politique à l'encontre de certains partis par des milices, on aurait vivement apprécié.