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Les Etats-Unis cherchent à opérer une reconfiguration géostratégique de notre région Lutte contre le terrorisme dans le Grand Maghreb - Entretien avec Abdelmajid Abdelli, professeur des relations internationales
Confier aux étrangers la garde de nos frontières sera le début d'une nouvelle descente aux enfers La région maghrébine est loin de susciter l'intérêt des Etats-Unis d'Amérique, à tel point d'y mener une action militaire coûteuse où l'on se sert de drones. Le professeur des relations internationales Abdelmajid Abdelli le confirme, soulignant que cette région du monde n'est pas un sujet des relations internationales, mais qu'elle est plutôt un objet dans un nouvel ordre mondial commandé par les grandes puissances. Entretien. Une information récemment véhiculée par certains organes de presse maghrébins évoque un projet de la CIA visant à pourchasser des salafistes djihadistes tunisiens, algériens, marocains, libyens et égyptiens par des drones américains. Comment expliquez-vous cet intérêt de plus en plus manifeste des Américains pour la région ? Je reconnais que les Américains manifestent un certain intérêt pour la région maghrébine, du fait de son emplacement stratégique et de la richesse de son sous-sol qui en font une zone très convoitée. Toutefois, il n'est pas du même degré que l'intérêt qu'ils portent à d'autres régions encore plus riches dans le monde. Cela, sans néanmoins oublier que le Maghreb est une chasse gardée de l'ancienne force colonisatrice : la France. Autrement dit, il me semble inopportun de penser que les Etats-Unis d'Amérique vont mener, du moins dans un temps proche, des opérations militaires en Tunisie, en Algérie ou encore au Maroc. Car ils ont déjà fait leur choix de confier à la France la garde provisoire de cette partie du monde fort essentielle pour un Occident qui est finalement guidé par Washington. Mais, selon certains experts, les richesses naturelles dont regorgent l'Algérie et la Libye ne cessent de faire couler la salive de la superpuissance mondiale. Qu'en dites-vous ? Pour ce qui est de la Libye, l'affaire est déjà classée puisque le butin a été partagé entre les Etats-Unis, la France et l'Italie. Mais, en parlant de l'Algérie, il faut tenir compte d'un troisième acteur qui est la Chine. En effet, ce pays a fait une entrée triomphale dans le continent africain. Lorsqu'on sait que la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, juste après les USA et est actuellement la deuxième importatrice de pétrole et de gaz, puis, en réalisant qu'elle sera la première puissance économique en 2020, l'on comprend pourquoi le pays de l'Oncle Sam cherche à lui barrer tout chemin favorable à son expansion. Dans ce sens, il faut ajouter que la Chine, qui vient de remporter un appel d'offres relatif à la réalisation d'une autoroute de plus de 1.000 km, sait composer en toute souplesse avec le continent africain. C'est qu'elle se veut pragmatique, différenciant le champ du politique et des valeurs du jeu des intérêts économiques. La Chine semble de surcroît à la fois en phase avec les priorités africaines et moins cynique que la coopération occidentale qui a toujours concilié un discours sur les valeurs avec des pratiques de soutien aux dictateurs ou présidents à vie. Les Américains en sont conscients et cherchent à opérer une reconfiguration géostratégique de cette région et du monde. Mais quelle sera la place du Grand Maghreb et du monde arabe dans cette reconfiguration géostratégique du monde ? Comme je viens de l'annoncer: le Maghreb, quoiqu'il suscite l'intérêt des Occidentaux, n'est toujours pas un sujet des relations internationales. Toutefois, l'on peut s'attendre à de grandes mutations régies par ce jeu latent qu'on ne voit pas entre les grandes puissances. Le reste du monde arabe, plus particulièrement les pays riches en ressources naturelles, est toujours convoité par ceux qui ambitionnent une expansion sans limites. Ce même monde arabe produit à peu près un tiers du pétrole mondial. D'ailleurs, 45% du pétrole commercialisé internationalement est arabe. Même pour les Etats-Unis, le pétrole arabe n'est pas une ressource marginale : ils en importent pour 23% de leur consommation, tandis que l'Europe en importe pour 40%. Le monde arabe dispose de ce fait de tous les moyens nécessaires pour peser sur les cours et occuper une place de choix sur la carte géostratégique. Mais il se trouve qu'il est encore dépendant politiquement et militairement de l'Occident. La commercialisation du pétrole arabe lui-même dépend de la sécurité de routes maritimes, telles que le détroit d'Ormuz, la mer Rouge et le canal de Suez qui sont sous le contrôle des Etats-Unis. D'autant plus que les compagnies pétrolières qui raffinent, transportent et distribuent ce produit sont toutes occidentales. L'arme du pétrole n'est donc pas totalement entre les mains des Arabes, surtout dans un contexte où l'on découvre de plus en plus de pétrole, et pas exclusivement dans le monde arabe. L'incapacité du monde arabo-musulman à se prendre en charge pour assurer sa sécurité et dépasser ses propres divisions serait-elle l'aboutissement logique de cette dépendance vis-à-vis de l'Occident ? Je ne divulgue point de secret en vous disant que les Arabes ont perdu leur place sur l'échiquier des relations internationales depuis les années 60. Ils ont été menés d'un échec cuisant sur tous les plans, politique, économique, social et culturel et leur déclin n'a cessé de s'aggraver avec le temps. Pour preuve, il faut dire que les 280 millions d'Arabes, soit 5% de la population mondiale ne représentent, en termes de production de richesses, que 1% de la production mondiale. En termes de performance économique, le monde arabe est avant-dernier, juste avant l'Afrique sub-saharienne et surtout de plus en plus loin de l'Asie et de l'Amérique Latine. Sa part dans les échanges internationaux décroît sans cesse : de 8% en 1970 à 2,7% aujourd'hui. Cela, malgré une augmentation considérable durant cette période du prix des hydrocarbures qui constituent encore aujourd'hui le plus clair de ses recettes d'exportation. De là, les Occidentaux nous considèrent comme des barbares ou encore comme des tartares qui ne sont bons qu'à semer des troubles, là où ils passent. Les Maghrébins ne sont pas exempts de cette identification. Est-ce pour cela qu'à l'encontre du reste du monde, ils traitent avec les Arabes et les musulmans par la force ? D'une certaine manière, oui, puisqu'avec la Chine, la Russie et la Corée du Nord il est clair comme de l'eau de roche que la politique américaine est basée sur les négociations diplomatiques. Mais cela ne doit pas nous détourner de la question israélienne qui régit toute la politique de l'Occident et des Etats-Unis d'Amérique en traitant avec les Arabes. Pour Israël, tout Arabe est un ennemi et pour les Américains, Israël est un gouvernorat qui leur appartient. Cela est un repère fondamental pour comprendre la logique du nouvel ordre mondial — qui est en vérité ancien — gouverné par la Maison-Blanche. D'ailleurs, les Américains confondent entre Islam, Palestiniens et terrorisme. Pour eux, leur intérêt national et la sécurité d'Israël priment sur tout le reste. De ce fait, en réalité et, contrairement à ce qu'ils laissent entendre, ils sont mécontents des révolutions arabes ayant débouché sur une montée des islamistes qui peut menacer la sécurité de l'Etat hébreu et souhaitent les voir finir par un échec irrattrapable. Ce faisant, leur attachement à préserver la sécurité d'Israël les motivera peut-être à mener des opérations militaires contre les djihadistes dans la région maghrébine, quoique le coût puisse être élevé ? Je vous l'avais déjà dit, le Maghreb est une chasse gardée de la France qui, à son tour, fait partie d'un Occident chapeauté par l'Amérique. Cela n'empêche cependant pas de reconnaître qu'il est parfois difficile de déchiffrer l'énigme du jeu latent des grandes puissances. Reste à dire que le Maghreb et les Arabes d'une façon générale se montrent encore colonisables, étant en panne d'autonomie, de créativité et de savoir. Psychiquement, ils n'arrivent pas à se débarrasser de l'image de cet Occident sauveur capable de tout faire. Ils n'ont toujours pas confiance en eux et se montrent impuissants et résignés. Sinon, mais pourquoi compter sur des forces et des parties étrangères pour maintenir leur sécurité ? Les pays maghrébins, par exemple, en s'unissant, peuvent relever tous les défis ayant trait à la garde de leurs frontières et à la lutte contre ce «terrorsime» que l'Occident a réussi à semer dans les esprits. Cela pour dire, que la guerre contre le terrorisme à l'américaine est une guerre contre un inconnu que l'on a inventé pour faire passer certains projets. Ils identifient les choses comme il leur plaira et conformément à leurs propres projets. Pour eux, un Israélien qui tue un Palestinien parce qu'il se défend contre la colonisation n'est pas un terroriste, alors que la plupart des musulmans sont des terroristes. C'est ainsi qu'ils raisonnent et leur guerre est déclarée contre l'Islam. Je dirais, du reste, que tant que la plaie de la Palestine saigne, les Américains seront toujours rejetés et haïs par la jeunesse arabe. Tout autant qu'en dehors d'une Union du Maghreb Arabe forte et solidaire qui n'est, jusque-là, qu'une coquille vide, les pays maghrébins peineront à sortir de la crise sécuritaire et à relever les innombrables défis qui leur sont posés dans le contexte actuel.