Les restrictions appliquées dans les textes de lois limitent le droit d'accès à l'information et créent une certaine tension entre gouvernement, gouvernés et acteurs militants pour les droits de l'Homme. Un dilemme qui persiste et qui met en péril les processus démocratiques, notamment dans les pays en transition dont les peuples cherchent à savoir la vérité et s'accrochent à tous leurs droits. La Tunisie ne fait pas l'exception... Depuis quelque temps, l'Ordre national des avocats enchaîne séminaires et journées d'études sur des sujets bien intéressants et qui relèvent de l'actualité du secteur du barreau et impliquent d'autres acteurs de plusieurs domaines. C'est ainsi qu'il a organisé hier un séminaire sur le droit d'accès à l'information, et comme d'habitude l'Ordre a invité des experts internationaux pour étoffer les interventions et le débat. En effet, outre le bâtonnier Chawki Tabib, qui a présidé le séminaire, y ont participé, Catherine T. Dwyer, directrice du bureau de l'association du barreau américain, Mitchell W. Pearlman, avocat et expert international en gouvernance de l'information, Mongi Khadhraoui, secrétaire général du Syndicat national des journalistes, Amira Yahyaoui, présidente de l'association « Bawsala », ainsi que Farah Hached, présidente de l'organisation « Labo Démocratique ». Dans son intervention introductive au séminaire, le bâtonnier Chawki Tabib est revenu sur les interdictions qui entravaient l'accès des avocats, des militants des droits de l'Homme et des journalistes à l'information. D'après lui, l'ouverture post-révolutionnaire sur les diverses sources de l'information, en tant que droit, a causé plusieurs problématiques quant à l'application de ce droit sur plusieurs plans. «En dépit de la révision du système d'accès à l'information, il n'a pas atteint le niveau escompté», a affirmé le bâtonnier. Soulignant les efforts déployés pour promouvoir et protéger les droits, Catherine T. Dwyer a affirmé que son organisation appuie les gouvernements face aux défis que rencontrent les démocraties naissantes, mais aussi imposer une certaine pression sur les gouvernements, dont celui tunisien, pour qu'ils respectent ces droits. Pour sa part, l'avocat et expert Pearlman a précisé qu'avant d'entamer un travail de fond sur les législations pour promouvoir le droit à l'accès à l'information, il faut se décider quant aux références à la base desquelles on va opter pour une certaine vision de ce droit avant de le formuler dans les textes de lois. «Tout gouvernement se doit de fournir les informations à travers lesquelles les citoyens vont pouvoir évaluer son travail. Le travail de l'avocat est, en partie, de défendre la démocratie et les droits de l'Homme, entre autres le droit à l'accès à l'information. Dans les démocraties réelles, le peuple suit, évalue et contrôle le travail de son gouvernement. De même, il a le droit de retirer sa confiance en son gouvernement qui, à travers son ouverture, lutte, entre autres, contre la corruption», a-t-il ajouté. Evoquant l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et des conventions internationales en la matière en tant que garants de la liberté d'expression mais aussi de l'accès à l'information, Pearlman a souligné le devoir des gouvernements de respecter et protéger ce droit à travers notamment l'application des lois en vigueur et de fournir les informations officielles et judiciaires quant aux sociétés publiques et privées. Il a relevé les restrictions appliquées concernant les informations dans le domaine des affaires militaires. D'après lui, certains gouvernements exploitent cette sensibilité des informations en liaison avec l'ordre public, les secrets d'Etat, les données qualifiées de personnelles, pour se donner une marge qui leur permet de transgresser des droits. «Le flou persiste dans les pays, notamment les dictatures», a-t-il affirmé, évoquant les exemples de l'Allemagne et de l'Afrique du Sud. La suprématie des lois, l'engagement du gouvernement à respecter les droits et les lois, l'indépendance du système judicaire, l'imposition de la transparence, le respect des engagements envers les conventions internationales, la transparence financière et la lutte contre la corruption, sont des conditions qui s'imposent, d'après Pearlman, afin de garantir le droit de l'accès à l'information. Dans ce sens, il a souligné le rôle des médias, notamment les blogs et réseaux sociaux, dans le contrôle de l'application des lois, celui des avocats qui participent à la formulation de ces lois, ainsi que celui des juges et les procureurs généraux qui, quant à eux, veillent à l'application des lois. Quand la volonté politique fait défaut Le journaliste syndicaliste Mongi Khadhraoui s'est étalé, dans son intervention, sur le cadre juridique qui donne le droit aux journalistes à l'accès à l'information dont notamment le décret n°41 daté du 26 mai 2011, amendé par le décret n°54 adopté en juin 2011. Indiquant que les journalistes ont souhaité que cet accès soit global, Khadhraoui a estimé que la restriction de l'accès à l'information décrétée dans les articles 16 et 17, concernant les informations sensibles et secrètes, ne fait qu'entraver le travail des journalistes. «Et ces restrictions, a-t-il ajouté, reflètent une volonté politique visant à laisser perdurer le manque de transparence et ainsi favorise l'instauration d'une nouvelle dictature». Il a, par la même occasion, évoqué les mauvaises formulations et les notions bateaux du style « intérêt d'Etat », «bon déroulement des marchés publics», qui appuient cette volonté de laisser perdurer la confusion. D'après lui, plusieurs dépassements des textes de lois ont été enregistrés, notamment dans l'accès aux informations à caractère politique. Il a cité le cas de l'affaire Baghdadi Al Mahmoudi dans laquelle, a-t-il indiqué, le président de la République n'a pas eu droit d'accès aux informations relatives à cette affaire. Posant la question sur la partie qui se doit de préciser les documents qualifiés de secrets de ceux qui ne le sont pas, il a évoqué les informations non publiées quant aux travaux de l'Assemblée nationale constituante. De même, Khadhraoui s'est étalé sur les interventions des institutions étrangères dans certains choix, dont notamment le Fonds monétaire international qui, selon lui, a pu imposer des conditions, entre autres, quant aux informations à divulguer par le gouvernement tunisien. Khadhraoui s'est étonné du double langage du gouvernement en ce qui concerne les décrets 115 et 116 qui ont été publiés dans le Journal officiel mais qui restent non appliqués. Il a indiqué que ces deux décrets ont besoin de révision avant leur application qu'il considère nécessaire pour protéger les journalistes. «Le gouvernement est en train de transgresser les lois et de les négliger, et ce, selon ses objectifs, ce qui l'a amené à poursuivre et emprisonner des journalistes, ce qui est inacceptable», a-t-il ajouté. La présidente de Bawsala, Amira Yahyaoui, a quant à elle souligné les efforts fournis par son association pour imposer l'accès aux informations relatives aux travaux de l'ANC, ce qui n'est pas encore assuré. Le rôle de la société civile, la lutte contre la corruption et l'ouverture des archives politiques ont été au centre des interventions et du débat de ce séminaire. «Soyez patients et utilisez tout moyen de pression légal à travers la presse et les organisations internationales pour contourner la bureaucratie administrative qui est un problème majeur», a conclu l'avocat et expert de la bonne gouvernance de l'information, Mitchell W. Pearlman.