■ Le tissu associatif tunisien compte 15 mille ONG dont 5 mille post-révolutionnaires ■ La société civile est marquée par une disparité régionale et au niveau des domaines d'intervention L'état des lieux de la société civile en Tunisie, ses enjeux, ses besoins et ses perspectives font l'objet d'une étude analytique, concoctée par la Fondation pour le futur et dont les résultats ont été présentés hier, à Tunis, lors d'une conférence organisée à cet effet. Le présent travail vient compléter la série de recherches élaborées antérieurement par certains organismes et organisations internationales, à l'instar de l'étude réalisée, en octobre 2011, par le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme et qui consiste en «l'établissement d'un répertoire des associations et ONG en Tunisie pour le reforcement des capacités d'influence et d'action des ONG de défense des droits de l'Homme»; l'étude élaborée par le Pnud en février 2012 et ayant pour thème: «Etat des lieux de la société civile tunisienne dans le secteur de la promotion d'une citoyenneté active»; celle de la Commission de l'Union européenne en Tunisie, une étude intitulée «Rapport de diagnostic sur la société civile tunisienne» ainsi que l'étude faite par la Banque africaine de développement en mai 2012 et portant sur «la gouvernance participative en Tunisie: améliorer la prestation des services publics à travers des partenariats Etat-citoyens». L'étude stratégique sur les organisations de la société civile en Tunisie a pour finalité d'examiner le potentiel de la société civile tunisienne, y compris les ONG créées après les évènements du 14 janvier, par le biais d'une lecture analytique de leur apport au développement durable ainsi que le cernement des défis à relever pour un déploiement meilleur de la société civile. Un échantillon représentatif des ONG tunisiennes œuvrant dans le domaine des droits de l'Homme, celui de la promotion démocratique, de la citoyennetté et du plaidoyer politique constitue le référentiel de base du présent travail; un travail au terme duquel un programme de recherche-action pour le renforcement des capacités des organisations de la société civile tunisienne post-révolutionnaire serait possible à envisager. Un boom associatif Prenant la parole, M. Hafedh Zaâfrane, consultant, a présenté d'une manière détaillée la présente étude en insistant sur les points positifs et sur les paradoxes relevés lors du travail analytique. La présente étude a pris pour données de base les indicateurs chiffrés relevant du centre Ifeda. En 1980, le tissu associatif tunisien se limitait à quelque 1.969 ONG. Ce nombre fort timide a été multiplié au cours des trois décennies pour atteindre les 9.969 en 2010. Après la révolution, et libérée des contraintes politiques qui accablaient en quelque sorte ce domaine non gouvernemental, la société civile a connu un boom associatif qui s'est traduit par la création de 5.000 nouvelles ONG au bout de deux ans pour atteindre 14.966 à la fin de 2012. La part du lion en matière d'évolution quantitative des ONG revient à un domaine prioritaire à savoir le développement des écoles, qui compte, aujourd'hui, 30,9% du nombre total des associations. Il est directement suivi des ONG à vocation artistique et culturelle (15,4% du tissu associatif) ainsi que des associations sociales et de bienfaisance (12,2% de l'ensemble des ONG). Il est à souligner que bon nombre des associations de bienfaisance adoptent une idéologie religieuse. Elles constituent d'ailleurs la catégorie associative qui a connu la plus grande croissance quantitative depuis le 14 janvier 2011. En revanche, l'intérêt de la société civile pour certains domaines tout aussi importants demeure en deçà des besoins réels de la société. Les associations féminines représentent le plus faible taux de contribution au tissu associatif avec seulement 0,9% de l'ensemble des ONG. De même pour les causes environnementales et pour les associations spécialisées dans l'octroi des microcrédits dont les taux respectifs sont de 1,8% et 2,2%. Outre la disparité dans les domaines de spécialisation, le tissu associatif tunisien, notamment celui post-révolutionnaire, a tendance à maintenir cet écart considérable de la société civile entre les régions. Malgré le nouveau souffle associatif décelé dans les gouvernorats du Sud et dans les régions du Centre Est et Ouest, l'écart persiste entre la capitale et le reste du pays. Un graphique sur la répartition par gouvernorat des associations créées après la révolution montre que le gouvernorat de Tunis compte le plus grand nombre de nouvelles associations, soit 1.260 ONG. Malgré l'évolution quantitative des ONG à Médenine (229) à Gafsa (229 ONG), à Kasserine (223 ONG) et à Nabeul (228 ONG), l'esprit associatif dans certaines régions progresse à pas de tortue avec seulement 36 nouvelles associations à Zaghouan, 46 à Siliana et 61 à Tozeur. Besoins pressants de financement, de formation et de réseautage La présente étude a été, par ailleurs, axée sur l'évaluation des capacités des organisations de la société civile tunisienne à travers notamment l'examen de cinq domaines focaux de performance, à savoir la gouvernance, les ressources humaines, les ressources financières, les performances relationnelles et opérationnelles. Ce travail a permis de déduire que le paradoxe entre les capacités des ONG implantées dans le Grand-Tunis sont nettement supérieures aux capacités de la société civile dans les régions. Dépassant même la seule logique de paradoxe, cette analyse démontre que la société civile tunisienne est caractérisée par un déficit flagrant en matière de capacité qui atteint les 70% pour l'ensemble des associations. Ce déficit de capacité revient essentiellement à deux composantes manquantes: le financement et la formation. En effet, entre 58 et 77% des associations trouvent indispensable le recours à des sources de financement à même de booster la mise en œuvre des projets envisagés. Attirer désormais les bailleurs de fonds dans l'optique de financer les organisations de la société civile afin de les aider à apporter le plus est une démarche capitale pour le renforcement des capacités de la société civile. Certes, il existe des programmes spécifiques de renforcement des capacités de la société civile dans lesquels s'investissent les principaux bailleurs de fonds internationax, comme l'Union européenne, le Pnud, le Fonds social de développement... Toutefois, l'intégration d'une composante imposant le renforcement des capacités dans les projets financés ainsi que l'accompagnement des associations dans la réalisation des projets financés constituent les deux maillons manquants dans la chaîne du financement-assistance. D'autant plus que l'absence de réseautage liant les ONG aux éventuels bailleurs de fonds rend la tâche encore plus difficile. La consolidation des ressources financières des ONG s'impose. Elle va même de pair avec l'amélioration des ressources humaines via des formations ciblées. Cette approche est susceptible de combler la principale lacune au niveau des ressources humaines œuvrant bénévolement dans le tissu associatif, à savoir le professionnalisme. Mme Nabila Hamza, présidente de la Fondation pour le futur, souligne en outre l'impératif pour les organisations de la société civile et les autorités tant locales d'instaurer une nouvelle approche de coordination et de partenariat fondée sur le dialogue.