Comme prévu, l'examen, hier, du projet de loi organique sur l'instance provisoire de l'ordre judiciaire a suscité les divergences déjà apparues en juillet 2012 lors de la discussion de la première mouture du projet qui a fini par être rejetée. Comment les constituants ont-ils réagi à la deuxième mouture et que reprochent-ils aux différents articles que ce nouveau texte comporte ? La Presse a donné la parole à certains locataires du palais du Bardo. Témoignages. Naceur Brahmi (constituant indépendant) : Les magistrats ne sont pas de simples fonctionnaires D'abord, une remarque préliminaire, la création de cette instance n'a que trop duré et cela dénote l'entêtement du pouvoir exécutif de subordonner le pouvoir judiciaire et de chercher à le maintenir sous sa coupe. Cela fait plusieurs mois que la discussion au sein de la commission de législation générale achoppe sur le principe de l'autonomie de l'instance parce que les représentants d'Ennahdha n'admettent cette autonomie que du bout des lèvres et il leur est arrivé à plusieurs reprises de refuser carrément le terme «instance autonome». Le gouvernement, et en premier lieu le ministère de la Justice, s'accommode de faire en sorte que les magistrats soient réduits à de simples fonctionnaires aux ordres. Concernant la mouture proposée, hier, à la discussion générale, il y a certainement des progrès en direction de l'autonomie de l'instance par rapport au texte précédent. Cependant, les magistrats, à travers leurs organisations professionnelles, tiennent à ce que l'instance soit constituée exclusivement de magistrats. A mon avis, il faut prendre acte du progrès enregistré dans la deuxième mouture du texte législatif et admettre que la présence d'autres professions au sein de l'instance peut être d'un apport positif d'autant que cette expérience est d'actualité dans d'autres pays plus ancrés dans la démocratie que la Tunisie. Najla Bourial, constituante (Alliance démocratique) : Les prérogatives du ministre de la Justice, une menace pour l'indépendance des magistrats L'article qui me semble susciter toujours la discorde et les divergences les plus graves est bien celui qui maintient les prérogatives étendues dévolues au ministre de la Justice en fonction de la loi n°29 en date du 14 juillet 1967. Ainsi, si cet article est maintenu au bout de la discussion générale, l'on reviendra à la case départ puisque le ministre de la Justice continuera à maintenir sous ses ordres les magistrats dans la mesure où il décidera de la désignation, de la promotion, des mutations et des sanctions disciplinaires; il aura une mainmise totale sur la profession et les attributions de l'instance seront vides de tout effet. Au cas où cet article ne serait pas modifié ou abrogé, la domination du ministère se poursuivra de plus belle. A mon sens, il faut trancher et faire en sorte que tout ce qui se rapporte aux magistrats soit de la compétence exclusive de l'Instance. D'autre part, la composition de l'Instance doit comporter exclusivement des magistrats et non des personnes appartenant à une autre profession. Rym Thairi (constituante Al Aridha Chaâbia) : Nous appelons à l'indépendance totale de l'Instance Nous refusons, au sein d'Al Aridha Chaâbia, la présence des politiques au sein de l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire même s'ils prétendent représenter l'Assemblée nationale constituante. Notre conviction est que toute personne émanant de l'ANC sera la voix de la majorité au pouvoir et exercera toutes les sortes de pression sur les membres de l'Instance au profit de ceux qui l'ont désignée. De plus, nous appelons à ce que l'Instance soit composée exclusivement de magistrats, et l'exemple français qui admet une composition mixte n'est pas le plus indiqué à suivre. Par contre, les exemples américain et britannique où les affaires de la magistrature sont l'apanage exclusif des magistrats peuvent nous être utiles. D'ailleurs, l'on peut s'interroger pourquoi les conseils des ordres des médecins et des avocats n'acceptent pas la présence d'autres professions alors que pour les magistrats, l'on cherche à introduire des personnes étrangères à la profession. Il est aussi un principe fondamental auquel Al Aridha est solidement attachée. Il s'agit de l'indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif. Pour nous, le maintien de la loi de 1967 offrant au ministre de la Justice des pouvoirs étendus nous fait ramener à la case départ et à l'ancien système où les magistrats étaient sous la coupe du gouvernement.