Aujourd'hui les magistrats entrent en grève dans tous les tribunaux de la République, conformément à ce qui été décidé aussi bien par le syndicat des magistrats que par l'Association des magistrats tunisiens qui s'accordent à affirmer que le projet de loi pour la création de l'Instance provisoire de la magistrature dans certains de ses articles, ne favorise pas l'indépendance de la magistrature. Il faut dire que la question de l'indépendance de la magistrature restera toujours posée tant qu'il y aura la mainmise du pouvoir sur le secteur judiciaire. L'idée de la création d'une instance provisoire de la magistrature a été dans le but de remédier à une situation qui a sévi pendant l'ancien régime, aussi bien sous Bourguiba que sous Ben Ali, et qui par là même, a nui à l'image de marque de la Justice dans le pays. Les juges avaient souvent les mains liées et ne pouvaient rendre des décisions en leur âme et conscience et dans le seul but de l'application de la loi. Une application saine, c'est-à-dire sans aucune autre considération que celle de rendre la justice: Al Hak en arabe qui est le reflet de la vérité, et son opposé étant « Al Batil » c'est-à-dire tout ce qui est faux, donc nul et non avenu. Un autre proverbe arabe, souvent utilisé par les juristes corrobore ce point de vue, et en vertu duquel il est affirmé que tout ce qui est érigé sur le faux est nul et de nul effet. Or dans certaines affaires, notamment celles qui étaient à caractère politique, les décisions judiciaires étaient tributaires des directives qui leur venaient de leur supérieurs hiérarchiques dont le président de la République, qui était le président du fameux conseil supérieur de la magistrature. Quel haut pontife de la magistrature, aussi haut placé qu'il fut pouvait contrecarrer les directives du grand chef ? Ce fut précisément cette situation qui a donné lieu aux abus et à la corruption dans le secteur de la magistrature. Certains magistrats qui marchaient dans la combine, voyaient dans la corruption une contrepartie des « services rendus ». Certes la plupart des magistrats étaient honnêtes et essayaient de faire de leur mieux pour rendre la justice conformément à la loi, et en toute objectivité. Mais ils se sentaient liés à cause de cette mainmise notoire de l'exécutif. Après la révolution, l'indépendance de la Justice a été parmi les questions urgentes qui ont été débattues, notamment au sein de la Constituante. La loi du 2 août 2011, portant création d'une instance provisoire de la magistrature, a été soumise au vote à la constituante. Mais elle a été remise plusieurs fois en question, dans le but de la révision de certains de ses articles. Fin prête, elle comporte 22 articles et elle est en passe d'être soumise au vote de la Constituante. Toutefois les magistrats, ont estimé, par le biais de leur association et de leur syndicat, qu'elle ne favorise pas le principe de l'indépendance de la Justice. C'est la raison pour laquelle et afin d'inciter à sa révision concernant certains articles, cette grève a été décidée le 28 courant, jour où elle devait être soumise au vote. Retour à la case départ Comme nous l'a fait préciser, Raoudha Karafi au nom de l'Association des magistrats tunisiens, c'est la deuxième fois qu'une grève générale est décidée, en vue de la révision du projet de loi en question. En effet une grève a été décidée les 12,13 et 14 juin dernier, pour le même motif à savoir, assurer une vraie indépendance de la magistrature. Cette grève a été suivie à 90%, a ajouté Raoudha Karafi, ce qui prouve que ce problème tient à cœur à tous les magistrats. On revient à la charge aujourd'hui, car le problème demeure encore, selon la mouture finale du même projet de loi, dont plusieurs articles doivent être révisés à cet effet. Des points touchant à la séparation des pouvoirs Pour sa part Kalthoum Kennou, présidente de l'association des magistrats tunisiens estime, que malgré les points positifs du projet de loi en question, certains articles vont à l'encontre du principe de la séparation des pouvoirs, ce qui nuit par la même à l'indépendance de la Justice L'article 1er relatif à l'autonomie financière et administrative de l'instance, constitue un acquis, reconnaît Klathoum Kennou. Toutefois selon l'article 6 du projet de loi relatif à la composition des membres de l'Instance, et à part les membres élus parmi les juges, des membres sont désignés par le président de la République et d'autres membres par le chef du gouvernement, outre les deux membres de l'ANC du comité de la magistrature. Kalthoum Kennou , estime que cette procédure ne favorise nullement l'indépendance du pouvoir judiciaire outre le fait qu'elle soit non conforme aux normes internationales. Raoudha Karafi a ajouté que l'article 16 ne fait que favoriser l'immixtion de l'exécutif dans le domaine judiciaire, affectant par la même l'indépendance de la magistrature : en effet il est prévu la présence de membres du pouvoir politique, exécutif ou législatif , dans la composition du conseil de discipline. Dans le même ordre d'idée elle a précisé que les décisions de révocations des magistrats à l'issue de la Révolution ont été prises par le ministre de la Justice, et ce, en vertu du statut des magistrats datant de 1967. Ce qui est une aberration en soi. Ces cas de révocation doivent être réétudiés par l'instance, pour donner une meilleure garantie au magistrat d'une manière générale. Sachant que les magistrats qui ont engagé des recours devant le tribunal administratif, n'ont rien à perdre à soumettre leurs cas à l'instance en question en phase gracieuse et avant tout recours contentieux. Inamovibilité du juge Elle est parmi les garanties du juge qui ne peut être muté sans son accord, à moins qu'il ne s'agisse d'une mutation à titre disciplinaire. D'autre cas impérieux, peuvent motiver la mutation du juge, dont notamment pour soutenir un tribunal voisin, ou en cas de restructuration de l'ordre judiciaire. Autrement, ce principe d'inamovibilité du juge est intangible, afin de consolider le principe de l'indépendance de la Justice en général et selon les normes internationales. Or il est précisé dans l'article 12, fait remarquer Raoudha Karafi, que la mutation du juge peut intervenir « dans l'intérêt de la continuité du travail » Elle affirme que cette expression vague pourrait être utilisée à tout bout de champ pour imposer un poste à un magistrat. Elle doit être pour cette raison, supprimée purement et simplement. Le motif doit être clairement et explicitement exposé, et il ne doit pas sortir du cadre de l'un des trois cas précités. La position du syndicat des magistrats tunisiens est la même que celle de l'AMT, sur les points précités et les articles y afférents qui doivent être révisés en vue de la consolidation d'une authentique indépendance de la Justice.