C'est à 15h30, hier , que Mustapha Ben Jaâfar a ouvert la séance plénière consacrée à la création de l'instance provisoire de la magistrature. Une séance non aboutie, puisqu'il n'y a pas eu de vote autour des véritables questions conflictuelles qui divisent l'hémicycle se rapportant à la composition de l'instance et à ses prérogatives. Le rapport élaboré par la commission de la législation générale, présidée par Mme Kalthoum Badreddine, constituante nahdhaouie, a été le point de départ du débat autour du projet de loi concernant la création de cette instance. Celui-ci a comporté trente huit articles, dont 14 présentés sous différentes variantes, faute de consensus. Près de 51 constituants ont manifesté leur volonté d'intervenir, après lecture du rapport. Des interventions qui relèvent davantage de remarques d'ordre général sur l'assainissement du secteur de la justice, la garantie de l'indépendance de l'instance provisoire, ainsi que la gestion des carrières des magistrats. Un débat autour des départs en vacances des magistrats a enflammé la salle. La majorité a fini par faire adopter par le vote, l'article défendu par le ministre de la justice, M.Nourredine Bhiri qui était présent, selon lequel le magistrat doit requérir l'autorisation du président du tribunal où il siège avant de quitter le territoire national même pour un week end. Le ministre a mis en avant l'argument d'une bonne organisation d'un travail « sensible et décisif que celui de la magistrature». Quant aux députés qui étaient contre, ils y ont vu une ingérence dans les affaires personnelles des magistrats. Kalthoum Badreddine : « Il ne faut pas que l'instance devienne un Etat dans l'Etat » Un grand débat tourne autour de la composition de l'instance et de ses attributions, reconnaît la présidente de la commission de législation générale, pour enchaîner ensuite en se demandant : « faut-il que les membres soient uniquement des magistrats ou la composition se doit d'être hétéroclite?». Il faut savoir également que les points de désaccord sont associés à la répartition équitable ou non entre les membres désignés et élus. Autre divergence de taille ; l'étendue des prérogatives de cette structure. Lorsque certains défendent la thèse de la limitation des pouvoirs de l'instance, puisque elle «n'est que provisoire», d'autres considèrent que cette instance qui remplace dans les faits le conseil supérieur de la magistrature se doit d'être autonome et dotée d'un vrai pouvoir décisionnel. « Il faut trouver un équilibre, rétorque la constituante nahdhaouie, entre la garantie de l'indépendance et les risques d'hégémonie. Cette instance, analyse-t-elle, peut devenir par le pouvoir qu'elle a entre ses mains un Etat dans l'Etat. Il faut que l'équilibre soit trouvé», insiste-t-elle. Samia Abbou : «Il ne faut pas que le conseil de discipline soit une menace constante pour le magistrat» En sa qualité de vice-présidente de la commission de la législation générale, la députée CPR, insiste sur la nécessaire répartition équitable entre les magistrats élus et ceux désignés. Tout comme elle insiste sur la nécessaire présence de personnalités, autres que les magistrats. Elle défend, en outre, et avec ténacité la composition équitable notamment au sein du conseil de discipline. Il ne faut pas que le magistrat soit fragilisé par la crainte de mesures disciplinaires. «S'il lui arrive de défendre une position qui va à l'encontre de celle du ministère, par exemple». Le conseil de discipline, s'il n'est composé que des membres désignés peut devenir, une menace constante de représailles qui pèse sur le magistrat, prévient-elle. La vice-présidente défend également l'étendue des attributions de cette instance qui devra être, selon son approche, non pas uniquement consultative mais ayant un pouvoir de décision. Fadhel Moussa : «Lorsque certains juges sont réhabilités, après avoir été suspendus, ceci prouve que les procédures adoptées n'avaient pas été correctes» Selon le député PDM , il faut donner de grands signes d'indépendance. Sinon, prévoit-il, «vous êtes soupçonnés de laisser la justice sous la coupe du pouvoir exécutif». Et il donne pour exemple le premier article du projet de loi présenté par la commission de la législation générale, qui est très contesté, selon lui, parce qu'il stipule de fait, la dépendance financière et administrative de l'instance de la justice. «Or il est fondamental, précise le doyen, que cette structure qui est un conseil supérieur de la magistrature qui ne dit pas son nom, dispose de la personnalité morale pour garder son indépendance par rapport au ministère de la Justice». Quant à la révocation de certains magistrats par le ministre de la Justice, le député précise que c'est cette instance qui aurait dû se charger de l'ensemble du travail de contrôle, d'inspection et de discipline. « On aurait aimé que cette institution soit mise sur pied et que les magistrats concernés soient sanctionnés sur la base de dossiers étayés. On ne peut pas réclamer pour tout le monde un procès équitable et le refuser aux magistrats. Et quand on voit que certains juges sont réhabilités après avoir été suspendus, on comprend que les procédures adoptées n'avaient pas été correctes », regrette-il. Le débat promet. Il s'annonce émouvant et passionné et combien décisif pour notre jeune démocratie. Les divergences entre les constituants de la majorité sont tangibles et reconnues par eux-mêmes. Aucune consigne de vote n'avait été donnée, paraît-il. L'AMT et le SMT campent sur leurs positions La présidente de l'association des magistrats tunisiens (AMT), Kalthoum Kannou a réaffirmé, hier, l'attachement de l'AMT à l'indépendance morale, administrative et financière de l'instance provisoire de la magistrature, chargée de la gestion de l'ordre judiciaire qui, selon elle, doit avoir son propre siège et doit bénéficier du pouvoir de décision. Elle a ajouté, dans une déclaration à l'agence TAP, à l'occasion de la discussion à l'assemblée nationale constituante, du projet de loi portant création d'une instance provisoire chargée de l'ordre judiciaire que l'AMT s'attache également au principe de l'élection de tous les membres de l'instance. «Au cas où le pouvoir exécutif tient à nommer quelques membres, leur nombre doit être réduit afin que l'instance puisse préserver l'indépendance à laquelle aspirent les magistrats», a-t-elle précisé. De son côté, la présidente du syndicat des magistrats tunisiens (SMT), Raoudha Labidi, a souligné que les prérogatives décisionnelles de l'instance doivent être respectées. «L'exécutif ne doit pas avoir le droit de revoir les décisions de l'instance» a-t-elle indiqué. Pour sa part, le membre de la législation générale, Sélim Abdessalem, a indiqué que l'instance provisoire de la magistrature doit être composée uniquement de magistrats et ce, conformément à l'article 22 de la loi sur l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Il a ajouté que la commission du règlement intérieur tend vers une composition mixte (membres élus et désignés) signalant que le projet de loi sera le premier en son genre à consacrer l'indépendance du pouvoir judiciaire.