Les hauts fonctionnaires de l'Etat sont-ils contraints de faire une déclaration sur l'honneur de leur patrimoine? La loi relative à la déclaration des biens des membres du gouvernement et de certaines catégories d'agents publics existe depuis bien longtemps. Celle-ci a été ratifiée le 10 avril 1987. Publiée dans le Jort N°27, elle édicte dans son article premier que : «Les membres du gouvernement, les magistrats, les ambassadeurs, les gouverneurs et les présidents des ‘'entreprises mères'' et des ‘'entreprises filiales''... sont tenus de déclarer sur l'honneur leurs biens, ceux de leurs conjoints et ceux de leurs enfants mineurs, dans un délai ne dépassant pas un mois, à compter de la date de leur désignation dans leurs fonctions. Sont également soumis à la déclaration des biens, les membres des cabinets ministériels, les secrétaires généraux des ministères, les directeurs généraux et directeurs des administrations centrales, les consuls... ainsi que tout agent de l'Etat, des collectivités publiques locales et des établissements publics administratifs exerçant les fonctions d'ordonnateur ou de comptable public». Un beau monde est donc concerné par cette disposition légale, qui prévoit également que «tout contrevenant est puni conformément aux dispositions...». Mieux, les modalités d'application sont minutieusement énoncées. Les fonctionnaires susmentionnés se doivent de présenter leur déclaration de patrimoine à la Cour des comptes, de l'actualiser au bout de cinq ans, en cas de maintien au même poste, et de la renouveler avec la cessation de la fonction. Dans cette atmosphère faite de colère sociale et de suspicion populaire à l'endroit des hauts commis de l'Etat et des constituants, beaucoup de questions se posent à cet égard; la première, évidente : cette loi est-elle appliquée en ce moment ? Deuxième question: est-elle suffisante ? Tout porte à croire que non; puisque toutes les procédures sont faites sous le sceau du secret. Comment savoir qui observe la loi et qui l'ignore? Comment vérifier le degré de probité des gestionnaires des biens publics ? Une source autorisée de la Cour des comptes précise à La Presse que mis à part le premier président de la Cour des comptes, personne n'a accès ni à la liste des fonctionnaires ni au contenu de leurs déclarations. Ces informations sont strictement confidentielles, nous dit-on, «si un fonctionnaire a choisi de les rendre publiques, c'est son choix, mais rien ne l'y oblige». Dans le gouvernement actuel, c'est bien le ministre de la Justice, Nadhir Ben Ammou, qui a choisi de publier sa situation patrimoniale. Au temps du gouvernement de M. Jebali, Mohamed Abbou, ministre éphémère de la Réforme administrative, a, lui aussi, délibérément choisi de rendre publique la liste de ses biens. Ainsi, la déclaration de patrimoine des hauts fonctionnaires est, pour ainsi dire, une mesure nécessaire qui participe pour l'heure à consolider cette politique de l'open-gov, revendiquée par une bonne partie de la population et par la société civile. Mise en application, elle aurait contribué à rassurer une opinion publique très secouée en ce moment. Le pays a fait sa révolution, mais les plaies du passé sont encore ouvertes. Ceux qui ont volé sans vergogne l'argent du peuple, ceux protégés par la loi de l'omerta et qui ont mis la Tunisie en coupe réglée n'ont pas encore été tous jugés, et l'argent n'a pas été récupéré. La bonne gouvernance, impossible sans une transparence observée à tous les niveaux des circuits de l'Etat, représente un frein solide aux malintentionnés et un précieux facteur d'apaisement social. Moralité de l'histoire, il aurait bien fallu publier les contrats de phosphate, de pétrole et de tourisme de Tozeur, par exemple, conclus avec le Qatar. Or les demandes réitérées de La Presse pour en obtenir des copies, ou les mémorandums, sont restées à ce jour sans réponse. Quoi qu'il en soit, entre le droit de contrôle, la revendication populaire de renforcer la transparence dans la gestion des affaires de l'Etat et des finances publiques, et le risque de grand déballage associé à du voyeurisme, en plus de l'empiétement sur la vie privée, les avis sont très partagés. Nous en avons recueilli deux édifiants qui s'opposent mais se rejoignent parfois.