C'est l'histoire d'un village minuscule. A Ighboula, un hameau au cœur du Haut Atlas, il y a le chant des oiseaux, le clapotis des sources et le son du vent dans les noyers qui ploient leurs branches au-dessus des maisons. C'est à peu-près tout, ou presque. Il y a quelques semaines, Ighboula et ses deux cents habitants ont décidé de faire revivre une fête traditionnelle oubliée depuis dix ans. Relancer des festivités pour garder vivantes de vieilles traditions, mais aussi tenter de désenclaver le village. « Amawa, ce sont des festivités qui regroupent toutes les formes de performances orales de quatre villages», explique Sarah Bitoune, une étudiante en anthropologie qui, depuis deux ans, travaille sur le patrimoine oral d'Ighboula et a aidé à relancer le festival. « A l'origine Amawa était célébrée au moment de la récolte des noix en septembre. C'était l'occasion pour les villageois de faire la fête et de faire vivre les traditions orales spécifiques de cette région ». Et des traditions orales, il y en a beaucoup. En pays amazigh, il y a des centaines de chants et de danses par région. Les concours de «tinzarin» (devinettes) les soirées de « hadieth », (contes) ou le «tamaweit», une forme d'improvisation poétique en vers qui permet de raconter des choses du quotidien, mais aussi de critiquer la société, font partie de ce patrimoine oral de plus de 5.000 ans. « A Ighboula, il y a des spécificités qu'on ne va pas retrouver à 30 km d'ici », commente Sarah Bitoune. «Il était une fois un roi et une reine blanche qui eurent un enfant noir », énonce de sa voix lente et assurée, Fatima. Fatima a une barbe et des cheveux blancs teints en roux qui dépassent du foulard qui sert sa tête. Elle ne connaît pas son âge. La vieille femme est venue exprès du village d'à côté pour raconter des contes berbères. C'est un événement rare. Fatima est l'une des dernières grandes conteuses de la vallée d'Ighboula. Pendant qu'on sert le thé, tout le monde écoute. Fatima est installée sur des tapis et des coussins à même le sol, une trentaine de femmes sont venues. Ici, les hommes ne sont pas admis, la langue des femmes se délie. Elles espèrent des retombées économiques du festival. « On aimerait créer une coopérative de tissage pour vendre nos propres tapis et avoir de l'argent. On aimerait aussi avoir l'eau courante dans la maison», complète Fatima, 35 ans. Les femmes attendent beaucoup de ces festivités, confirme Nora, l'institutrice du village. Ighboula est à trente minutes de marche de la première route goudronnée. Depuis deux ans, il y a l'électricité mais pas l'eau courante. La culture des noix suffit à faire vivre les familles mais pas à développer le village. Le pari est risqué, le festival veut attirer des touristes sans tomber dans le folklore. Une dizaine d'acteurs associatifs sont venus assister à cette première édition d'Amawa. Ils ont promis de revenir aider les villageois. En attendant, les femmes continuent à aller chercher l'eau dans les mille sources qui coulent à Ighboula.